Exercice inédit d’écriture créative 150

Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

Rèfléchissez bien avant d’imaginer la suite, ne vous laissez pas séduire
par la première idée qui vous traversera l’esprit 😉

18 réponses

  1. Clémence dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol ! J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    Aussi haut que nous pouvions être perchées, mes consœurs et moi-même avions ce même regard émerveillé pour la campagne, si belle en ce temps là….le culte de la lenteur y régnait.
    Chaque chose en son temps, fruits et légumes croissaient selon les saisons et selon leur bon gré.

    Je pouvais voir au loin, les cultivateurs, assistés par des chevaux vigoureux, travailler les terres grasses et fertiles. Aujourd’hui, ce sont les musées célèbres et les toiles de Maîtres qui témoignent à ma place, de ce labeur sans fin ni repos.

    J’aimais regarder les semeurs courir leurs champs avec d’amples mouvements tels que les chantaient Victor Hugo :

    « Pendant que, déployant ces voiles
    L’ombre, ou se mêle une rumeur,
    Semble élargir jusqu’aux étoiles,
    Le geste auguste du semeur. »

    La campagne brute, la campagne authentique.

    Une charmante fossette se creusait dans mes rondeurs lorsque je me penchais avec tendresse vers les femmes et les enfants. Elles étaient maîtresse au foyers, ils étaient rois des alentours. Les marmots riaient aux éclats des glouglous courroucés des dindons, ils poursuivaient les canards et les oies, les houspillant avec un bâton, ils se disputaient le crachoir avec les poules et les coqs qui papotaient, les unes sur la terre, les autres sur le tas de fumier ! Un joyeux tintamarre !

    Me dépassant d’une bonne hauteur, un vieux chêne offrait ombre aux habitants en été, nourriture aux écureuils dès l’automne. Si j »étais en admiration devant sa ramure majestueuse, je me sentais plutôt complice des groseilliers et framboisiers qui délimitaient le contour du potager. Je me réjouissais des couleurs offertes par quelques touffes de fleurs de-ci, de-là….

    D’après le témoignage de nos aïeules nous savions que dès les premiers jours de mars, une joyeuse effervescence nous gagnerait pour s’amplifier de mois en mois…jusqu’au point culminant de la saison.
    Ce fut encore pareil cette année et j’attendais avec une lente impatience l’apothéose de ma vie.

    Des bouquets de fleurs nacrées surgirent par milliers sur les branches. De tendres feuilles explosaient leur verdure de jour en jour…Les pétales tombèrent doucement en neige printanière, la métamorphose commençait…
    Les saints de Glace étant rentrés dans leurs sanctuaires respectifs, je savais que je pouvais m’épanouir sans craindre de frissonner.
    De jour en jour, je me fortifiais, je prenais de jolies couleurs. Le soleil complaisant me faisait rougir de plaisir…
    Il me sembla tout à coup que j’étais la pomme parfaite, rondeur, couleur et texture.J’étais prête à accomplir la mission pour laquelle j’étais destinée. Je commençais à ressentir quelques effets d’impatience… un brin de moiteur, un léger frisson…

    C’est alors que je vis un jeune homme aux belles manières, un peu intellectuel, un peu rêveur, je crois qu’il s’appelait Isaac.
    Il vint s’asseoir au pied du tronc…
    Je savais que le moment était venu…
    Je me laissai tomber…
    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol que j’entrais déjà dans l’histoire !

  2. Merquin dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.
    J’ai quitté le chaud nid des nuages. Le vent jovial m’a amené droit vers la cime prometteuse de ces géants de séquoias.
    Quel délice que de sentir le parfum embaumeur de ce bois !
    Quelle promesse future que de rejoindre mes frères et sœurs allongés, là, sur le tapis d’épines de pin sèches…
    Sauf que j’ai été posé entre les oreilles pointues d’un écureuil, couronnant la tête rousse de moi, si fragile petit flocon de neige.

  3. Zineb dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol, j’attendais pourtant cet instant depuis longtemps, des que les petits yeux ont eut le loisirs de s’habituer à la lumière puis au décore et enfin aux personnes qui l’entouraient. J’ai ressentis de la fascination moi qui n’est jamais connu que le ventre de ma mère.
    Mais ce qui le parut le plus intéressant dans ce monde vaste et pleins de surprise était l’étrange manière qu’ils ont de se déplacer, marcher sur leurs deux pieds alors que moi ils ne me servaient que de jeux, mais parfois même de sucette, puisque j’avais l’habitude d’en sucer le gros orteil.
    Mes parents me regardaient de leurs yeux en colère à chaque fois que l’appelle du sol était bien trop tentant et je m’en dissuadait de peur que l’obscure couleur de leurs prunelle ne me tue mais ce matin, j’ai eu un courage presque déstabilisant qui m’avait poussé à succomber à l’appelle du sol, tel un ange j’ai senti que je volais mais je n’avais pas eu le temps de toucher le sol que les bras forts et puissants de mon père m’ont saisie, j’en rêvais pourtant depuis longtemps…. Vous savez… Toucher le sol

  4. Béryl Dupuis-Méreau dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps. Je rêvais d’atterrir, c’est sur, oui.
    Mais qu’est-ce que je raconte? Bien sur que non que je ne rêvais pas d’atterrir. j’étais si bien. Dans un avion extraordinaire, à côté d’un pilote qui me parlait sans trêve. Un pilote avec un casque en cuir brun qui lui recouvrait les oreilles, avec une bonne bouille toute ronde qui le faisait ressembler à une lune pleine, et un petit nez pointu levé vers les étoiles. On était dans le ciel, au milieu d’une ouate blanche et moelleuse à perte de vue, et l’engin du coup ressemblait plus à un navire fendant un océan d’écume qu’à un avion. Le temps même paraissait suspendu, et l’appareil semblait faire du sur place. Je somnolais dans le bruit insistant du moteur, très fort et pourtant suffisamment monotone pour bercer. Comme une berceuse qu’on m’aurait hurlé aux oreilles. Je somnolais. Quand tout à coup, au milieu du discours ininterrompu de mon pilote j’entendis très nettement: « S’il te plait, dessine-moi un mouton! » « hein? » fis-je, interloquée par la proposition. Il répéta: « s’il te plait, dessine-moi un mouton! » et son bon visage rond souriait, ravi de sa trouvaille et de ma réaction aussi sans doute. Je regardais autour de nous. L’altitude?… peut-être!…à moins que… cette mer de nuages. Et prise au jeu, je me mis à choisir un petit amas qui surplombait l’étendue blanche et à décréter en moi-même: « c’est tout à fait comme ça que je le voyais ». Lui souriait toujours, continuant son récit de plus belle, en compagnie de son petit prince, s’emballant comme un enfant et riant plus fort devant mes yeux ébahis.
    Il n’a pas eu le temps de toucher le sol. Le moteur s’est grippé, soudain de mauvaise humeur. Mais lui souriait toujours: A coup sur un vol d’oies sauvages viendrait remorquer son avion, et l’emporterait dans les étoiles. Et comme Il attendait cet instant depuis longtemps, celui où il partirait sur une comète pour rejoindre son ami, il ne fut pas vraiment surpris.
    S’il savait! Qu’en bas on a rien compris! Et qu’on continue à chercher une carcasse de métal sur cette bonne vieille Terre!!!

  5. Chris BP dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol. J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.
    Je suis un grain de poussière qui volète parmi ses congénères. Je tourbillonne dans le soleil, je me chauffe des derniers rayons du soir avant de me poser telle une plume sur le pétale d’une fleur.

    Je suis le grain de poussière balayé d’un revers de main, le grain soulevé par vos pas ; celui qui recouvre une vieille photo, vos meubles de vacances. Je suis l’invisible qui voyage en permanence, qui suit les courants d’air, les saisons et les fumées des voitures.

    Je suis tour à tour blanc, gris, translucide, ou pailleté de mille couleurs. Vous me regardez impassible ou agacé, admiratif ou inquiet. Dans vos yeux, je vois mon reflet amusé de votre mine défaite devant tout le ménage à recommencer.

    Je suis un grain de poussière parfois fatigué d’avoir tant valsé sans volonté. Jamais de repos, toujours en lévitation au-dessus de vos têtes. J’aimerais tellement m’allonger à votre place ; juste une fois toucher le sol, et m’immiscer parmi les grains de sable.

    Le vent souffle encore ce soir, je suis obligé de vous quitter. Mais, promis, je reviendrai.

  6. Sylvie dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol ! J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps. Depuis le temps que je tournais dans tous les sens, toujours plus haut, toujours plus bas, mais sans jamais frôler le sol. Quand je m’en approchais, je sentais la chaleur sèche de la poudre pâle où mon maître sautillait, dans son pantalon bouffant ridicule. Je languissais d’atterrir dans cette couche douce et moelleuse… mais chaque fois il me rattrapait, il m’empoignait. Je le haïssais, je n’en pouvais plus d’être son objet, son esclave. J’essayais bien de m’échapper, mais il était trop adroit, l’imbécile. Il avait fait de moi, ou plutôt de nous, ses jouets – nous étions six à partager ce sort. Il nous lançait en l’air en se donnant des airs de troubadour, de saltimbanque, pauvre garçon de cirque. J’aurais tant voulu qu’il me lâche, que je percute le sol pour qu’enfin, je roule, là, en bas, sur le divan de fines pépites. Et il me faisait tournoyer, de plus en plus vite, de plus en plus haut, quand soudain, je descendis tout droit, sa main n’était plus là pour me rattraper. J’étais en chute libre vers l’eldorado tant attendu. Ça y est, c’est pour maintenant, enfin je vais m’écraser dans les minuscules perles du collier de dunes. J’y vais, j’y suis, je… non… je n’eus même pas le temps de toucher le sol. Je fus aspirée par un courant irrésistible, tirée par la baguette de l’homme à la longue cape noire qui effectuait des arabesques autour d’une malle béante, gouffre où il me précipita avant de refermer sur moi le lourd couvercle de métal. J’avais atterri dans une caverne d’Ali-Baba, il y avait des objets de toutes sortes, de toutes les couleurs, ça criait, piaillait, sifflotait, grognait. Mais… qu’est-ce qui m’arrive, voilà que ma membrane se réchauffe. Je me sens pousser des ailes, j’ai des ailes. Puis, hop… demi-tour, le couvercle s’ouvre, il m’appelle, j’y vais, je suis tout émue, je me débats. Je me frotte les ailes. Puis j’entre sur scène : je suis la blanche colombe du magicien, la fierté du prestidigitateur, je vole sous les applaudissements des enfants aux joues rosies d’étonnement : je ne suis pas près de toucher terre !

    © Sylvie Wojcik

  7. durand dit :

    Métédehore!

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol. J’attendais pourtant cet instant depuis

    longtemps.J’en avais ma claque de naviguer dans l’hyperespace, de cheminer

    dans les rayons de la consommation d’énergie.

    Moi, je ne cherchais qu’à me poser, qu’à me reposer. N’importe quelle planète

    un peu boisée, au bord d’une eau pouvait me suffire. Je ne cherchais rien

    d’extraordinaire, aucune exigence, ni tout tout bleu, ni tout tout vert, juste pas

    trop rouge…une aire de repos quoi, avec un petit coin pour les menus besoins,

    une vidange possible, une sieste…avant de reprendre le vagabondage dans le

    vaste cosmos.

    Et bien non! Ils m’ont repéré, du bas de leur atmosphère. Ils ont décrété que je

    ne pourrai jamais faire partie de leur cercle. Ils ont vaguement étudié les

    moyens de dévier ma courbe naturelle, de m’orienter vers ailleurs, n’importe où

    qui ne les encombre pas, un cul de sac de ciel, étoilé pour la frime, pour la

    presse, pour le bête plaisir de … survivre.

    Ils m’ont détruit avant que je puisse atteindre leur mésosphère. Ils m’ont

    explosé la face et le profil. Ils m’ont démantibulé, au nom de leur dieu Picasso.

    Maintenant, je tourne, désarticulé, morne gravier mêlé aux poubelles du

    secteur, aux ovnis du commun, coincé autour de ce rond point bleu, bleu de ses

    gnons plus que de ses eaux, embourbé dans ses encombrants, internes,

    externes, obligatoires malvenus, sources asséchées, pompes inutiles,

    succédané de vie, ersatz d’existence…pointillé en bout de course.

    Et je regrette , moi, astéroïde, que mes parents ne m’aient pas proposé…un

    autre voyage!

  8. Nathalie dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    Depuis si longtemps, des années, durant toute ma vie en fait…
    Je n’ai même pas touché du pied le tarmac. En bas de l’escalier de l’avion, je fus happé par des mains anonymes qui me hissèrent sur leurs épaules. J’étais leur héro !
    Grâce à un ballon. Un tir bien placé dans la lucarne. Et voilà le résultat ! Le match a basculé et nous sommes champions du monde.
    Je rêvais de cette gloire depuis longtemps.
    Aujourd’hui je suis porté par la liesse de la foule. Je survole l’attroupement sur les mains des supporters. Je suis englué dans leur bienveillance. Impossible de me défiler. Je ne contrôle plus mes gestes. La foule décide. Sa volonté est la mienne. Elle m’emporte, là où elle veut. Je ne peux pas combattre cette déferlante de joie. Sa force me surpasse. Je me laisse entraîner, totalement soumis à la foule excitée.
    Et je vois les miens, au loin, en train de pleurer notre si brève rencontre, et mon engloutissement dans le flot humain. J’attends que la marée me recrache sur la rive.

  9. Chloé dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol ! J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    Je planais.

    L’émotion m’a soulevée si tu savais! Ce moment, j’ai l’impression de l’avoir rêvé.

    Je descendais l’allée, mes sens se sont subitement bousculés. Comme si un étrange concours s’organisait a mon insu.

    Imagine, mon cœur au haut-parleur: « au top départ, le premier qui lui remémore une odeur, un bruit, une sensation, remportera la palme du souvenir! Ce sera lui qu’elle chérira lorsqu’elle racontera ce moment! ».

    Je revois encore la scène.

    La voiture s’immobilise. Il fait nuit. Mes cinq sens se tiennent en joue. L’émotion est a son comble.
    Je descends.

    Mon dieu c’était hier. J’entends et je retrouve..
    Le bruit des graviers, leur refuge sous mes semelles. Le claquement saccadé des portières embuées. Le vent dans les fougères, l’odeur de cheminée.
    Tu as 9 ans, moi 6. Nous venons d’arriver !

    L’ouïe et l’odeur emportent la victoire ex æquo.. La foule des autres sens déferle en exultant, essoufflée. Je me souviens de TOUT.

    Nos paupières engourdies, la fraîcheur de nos lits. Le crissement des tasses au matin et des chaises en osiers. Les feuilles d’oseille acides, la terre du potager. Le rictus du grand père, l’odeur de l’atelier.
    Cette maison. Ces longues journées. C’est si lointain, si bon.

    J’ose et sonne. « S’il y a des gens me laisseront-ils entrer? »

    Un long silence. Une pointe au cœur, un soulagement. Personne.

    « Dans un sens tant mieux, ceci est du passé ».

    J’entends des pas au loin. Mes sens se ressaisissent : « Mon dieu demi tour. Vite! Avant qu’ils ne surgissent.. »

    Comme une clandestine, je me suis échappée.

    Crois-moi, je n’ai pas eu le temps de toucher le sol…

    Si j’avais pu, sois sure, je me serai baissée et t’aurai rapporté…une poignée de graviers.

  10. Françoise - Gare du nord dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol ! J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    J’avais atteint le premier niveau plutôt aisément. Pour le deuxième, ce fut plus compliqué. J’étais parvenu au troisième avec beaucoup de difficultés. Je m’appliquais, je m’escrimais, je m’essoufflais pour accéder au quatrième.

    Mais malgré mes efforts, jamais je ne parvins à toucher le sol et la seconde chance ne fut pas laissée, il me fallut instamment laisser la place à celui qui attendait son tour derrière moi.

    Ainsi s’envolèrent mes rêves d’enfant de faire carrière dans l’art lyrique. Jamais je ne tutoierai le contre-ut et jamais je ne connaîtrais le succès sur scène à l’Opéra.

    J’avais la rage au cœur car, pour conserver ma voie j’avais sacrifié à mon idéal une partie vitale de mon anatomie en dépit du refus véhément de la Mamma qui refusait de voir s’envoler ses espoirs de devenir grand-mère.

    Ma fureur redoubla lorsque je fus contraint de me reconvertir dans un harem gardien de la vertu des épouses d’un sultan ottoman dans un harem de Byzance.
    Moi, que les femmes avaient toujours laissé dans une indifférence glaciale.

  11. DOAN Marie-Ange dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol… Evidemment, me direz-vous, sur une portée ce n’est pas facile…. Moi, en bon « fa », je restais entre deux lignes… et j’enviais ce petit sol qui, lui était bien accroché sur la sienne ; je faisais des signes désespérés au la, qui était placé comme moi … Apparemment, lui non plus n’y arrivait pas, mais cela ne l’affectait pas outre mesure !!! Pourtant, mon petit sol, j’aurais tant aimé être près de lui !!! Comment faire ?
    Mais, que se passe-t’il ? Je me sent tout-à-coup accroché… mais oui, on m’attache une queue avec un petit drapeau… je deviens une croche…
    Au secours !!!!!

  12. Lafaurie Alain dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    Toucher le sol, fastoche !
    Le sol dièse, c’est une autre affaire.

    Attends donc de grandir, me disait ma mère. Comme si à mon âge, on était doué de patience.
    Petite Fleur de Sydney Bechet, un morceau de roi. Du souffle pour le jouer, je n’en manquais pas mais pas moyen de « passer » le sol dièse sur la clarinette, la faute à un auriculaire encore trop petit.
    Je souffrais de cet handicap.
    Benjamin, mon voisin de pupitre à l’école Jules Ferry, me voyant tripoter mon petit doigt, m’avait demandé si la puberté me travaillait. J’avais haussé les épaules. Lui répondre que j’essayais de l’allonger lui aurait paru trop bizarre.
    J’ai bien essayé de me passer du sol dièse mais ça ne donnait qu’une petite, très petite fleur, fanée…

    Alors, j’ai attendu, attendu de grandir. Et le jour où mon auriculaire a atteint la taille désirée, je me le suis méchamment coincé dans une portière de voiture. Il a fallu me l’amputer. Je vous le jure, ce n’est pas du pipeau !

  13. Antonio dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    J’étais heureuse, sur un nuage. Il était tout pour moi, je n’ai connu que lui, j’étais suspendue à son cou jour et nuit.
    Et puis elle est arrivée. Un coup de foudre, il paraît. Elle a tout foutu en l’air, en un éclair. J’étais liquéfiée et verte d’orage, c’était la première fois qu’on me larguait.
    On voulait me rassurer autour de moi dans ce que je croyais être ma descente aux enfers.
    « T’inquiètes pas, quand tu toucheras le sol tu pourras enfin t’éclater »
    « Il est temps que tu prennes ton pied sur terre, que tu laisses un peu couler »
    « Tu vas voir, il y a des ruisseaux en cascades qui ne demandent qu’à t’épouser »

    J’ai égoutté les copines et suis sortie avec à la première averse. J’avais hâte de toucher le premier sol venu et me laisser aller jusqu’à son lit. Il ferait de moi ce qu’il voudra, j’avais juste besoin de me vider la tête, même si les filles me promettaient un océan de bonheur et un mariage solide.

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol, une lumière m’a tendu la main. J’étais éblouie, happée par cette chaleur nouvelle. Dans sa main, rien que pour moi, un bouquet d’arc-en-ciel. Je n’ai pas su refuser, il m’a embrassée, je me suis évanouie… évaporée.

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol mais le soleil, lui, m’avait touché en plein cœur.
    Comment savoir pour une goutte née de la dernière pluie que j’attendais cet instant depuis toujours.

  14. ourcqs dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps

    Dans mon univers, pas besoin de boussole, espace infini et le temps en pleine expansion. Comme certains, ailleurs, animé de curiosité insatiable je suis parti en exploration, c’était peut-être mieux, qui sait ? atterrir sur la planète bleue, un vieux rêve ! J’abandonnais les étoiles à leur insomnie chronique , mais les nébuleuses avaient toujours une forte influence, sinon attraction, sur mes trajectoires, et ce fut un peu chaotique pour m’éloigner. Et alors sensations fortes, vertigineuses vitesses, chocs telluriques ! Des comètes sillonnaient la voûte, virgules scintillantes, fugaces.
    Des rencontres trop furtives avec des naines rouges, des corps noirs. Les rayons verts me fascinaient. Je pensais être un porte-silence, pas de porte-parole chez nous, mais je baignais dans de nouvelles vibrations, des harmonies subtiles, des sons étonnants. Je planais lorsque soudain, violente déflagration, explosion, j’avais oublié un certain passage atmosphérique, je n’ai pas touché le sol, et mes poussières ont regagné les nuages interstellaires.

  15. Christine Macé dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol ! J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    Enfin, ça c’était hier, avant-hier, il y a longtemps. Depuis le grand valdingue, la bagnole qui s’envole, le choc, le noir et puis plus rien. Plus rien avant le retour sur terre, dans le monde des vivants. Et moi comme un arbre mort qui flotte indéfiniment. Rivé à mon lit tel un naufragé à son radeau d’infortune. Il n’y a plus que la tête qui bouge, et qui gamberge encore certains soirs de tempête.
    Les jours ressemblent aux jours, les nuits aux nuits. Je suis à leur merci, ils vont, ils viennent, me tripotent, me savonnent, me bringuebalent du lit au fauteuil et du fauteuil au lit.
    Sans cesse me revient ce jour-là, comme une litanie. Celui où je l’avais retrouvée, enlacée, embrassée, caressée, aimée. Elle riait et je l’écoutais pour m’en souvenir toujours. Je volais encore quand elle m’a quitté. J’ai enclenché la première, démarré en trombe en hurlant de bonheur : elle avait dessiné un cœur au feutre sur mon poignet. Je l’ai regardé, dix fois, vingt fois. La vingt-et-unième, j’ai pas vu le virage et j’ai plongé.
    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol : J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.
    Quand je l’ai revue, elle pleurait. Moi je n’étais qu’un tas de boue affalé sur un lit d’hôpital. Même pas mal. Sauf quelque part dans un endroit inatteignable désormais, qui s’appelle le cœur. J’ai fermé les yeux, elle est partie. J’aurais voulu me foutre en l’air mais ça, je l’avais raté et c’est pas de sitôt que j’aurais une nouvelle occasion. Les dieux jaloux ne m’ont pas pardonné cet amour, ils m’ont ramené à ma condition humaine-inhumaine, rivé à une vie sans rien dedans que des heures inutiles à vivre goutte à goutte.
    Aujourd’hui c’est l’automne, la saison aux couleurs de ses cheveux. Elle portait une écharpe verte ce jour-là, il avait plu la veille, la route était glissante et je n’ai aucun souvenir du choc. Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol ! J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps. Inconsciemment sans doute. Parce qu’elle était trop belle et que je n’ai jamais cru aux histoires d’amour.

    Bon dimanche, Christine

  16. Sabine dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol ! J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.
    Remarquez, je ne me plaignais pas de cette attente. Je vivais au chaud avec mes frères et sœurs dans un petit nid douillet. Maman s’occupait bien de nous. Mes frères et sœurs hirondelles s’étaient déjà envolés plusieurs fois, pas moi. Maman s’impatientait : l’heure de la migration s’approchant à grands pas, il fallait que je soit fort pour affronter un si long voyage.
    Je me suis décidé un 27 juillet au petit matin. J’avais choisi de me poser au bord d’une marre toute proche où je voyais maman y dénicher nos moustiques préférés. Mes premiers battements d’ailes, bien que laborieux, furent une grande fierté pour moi. Il n’y en eu pas d’autres.
    Le chat guettait.
    ©Margine

  17. Virginie Durant dit :

    Je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps.

    Mes doigts glissaient sur le clavier. Je les entraînais à enchaîner les octaves

    avec rapidité et fluidité. Mais à chaque essai, le sol se faufilait entre le fa

    dièse et le sol dièse. Je devais alors recommencer ma gamme qui de

    répétitions en répétitions, se limitait à quatre notes : do, ré, mi et fa.

    A mon plus grand désespoir, les partitions que je décortiquais intégraient

    toutes le sol. Lors d’un laps de 3 temps, mon orchestration créative cherchait

    à mettre au point une oeuvre musicale exempte de la note cloisonnée entre

    le fa et le la. Il demeurait toutefois un bémol : je ne maîtrisais que la clé de

    sol qui elle aussi frémissait et se dérobait. La situation m’inquiétait.

    Je m’en remis au chef de la tribu. Le do ? Non, son aïeul : le Vénérable Ut. Ce

    dernier proposa d’établir un diagnostic à partir des comportements de la

    touche blanche réfractaire, que je lui rapportais.

    L’air grave, le sage des notes se lançait dans une transe. De demi-ton en

    demi-ton, il récitait des litanies qui invoquaient un accord de quinte.

    Ces longues énumérations augmentaient mon angoisse. « Une profonde

    dépression semble affecter ce sol », pensais-je. Le Vénérable, qui lut ma peur,

    rétorqua :  » Ce sol n’est pas pleureur ! Il est très sensible. La vibration des

    cordes le chatouille! ».

    Amicalement,

    Je vous souhaite un bon week-end, Pascal.

    Virginie

  18. gay dit :

    je n’ai pas eu le temps de toucher le sol !
    J’attendais pourtant cet instant depuis longtemps. Mes ailes transparentes, inutiles auparavant, se sont mises à battre de plus en plus fort. Au-dessous, l’autoroute et ses voitures s’éloignaient, playmobils de pacotille. Mon souffle devenait court, ma colère grande. Si près du but, écraser ma joue sur l’asphalte. Tant de nuits à imaginer le contact rugueux du ciment sur ma peau. Fini le moelleux des nuages, la blancheur ouatée de leurs duvets maternels, je voulais m’enfuir, dégoûté par cette torpeur persistante, toucher la réalité. Mais Dieu en a décidé autrement. Il a rappelé son ange.

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