1 avis sur écrit est souhaité par Partrick Labrosse

Si vous m’entendez, serrez-moi la main !

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L’avis des abonnés

Encore une journée de pluie, maussade et déprimante, un terrible jour de novembre où le peu de lumière naturelle vous imposait de rentrer les épaules, d’éviter les regards, de vous fondre dans la masse humaine …
Chacun courait rejoindre son lieu de travail, accomplir de modestes tâches, des gestes familiers  qui vous réconfortaient, vous évitaient de penser ou peut-être même de sombrer.

Les rêves ensoleillés étaient en somnolence, oubliés dans les parfums de l’été passé. Tout était dans l’ordre des choses, à chaque saison son obligation.
Novembre était le mois de l’effacement, de l’abandon, de la conformité sociale, du repli sur soi même et du recueillement auprès des défunts… un mois florissant pour les chrysanthèmes !

Gabriel avait toujours une pensée pour sa mère, enfin celle qu’il considérait comme telle, évincée de la surface terrestre par une tumeur maligne, trois cent deux jours précisément s’étaient écoulés depuis son décès.
Il avait eu beaucoup de difficultés à surmonter cette épreuve, et encore aujourd’hui la souffrance était palpable.
Il avait très peu dormi la nuit passée, inquiet pour son avenir, comme toujours, éternel anxieux. Sa mère était tout pour lui, un pilier, une sécurité, une confidente, un remède à la morosité ambiante. Elle était née avec la bonté, la générosité et une inébranlable confiance dans l’avenir, une mère tout simplement.
Elle avait consacré son énergie, sa vie à aimer, cajoler et éduquer des enfants, les siens et d’autres également. Une famille d’accueil classique comme tant d’autres, offrant une main ferme et rassurante, base d’un avenir possible !

Aujourd’hui, il avait été délégué par ses demi-frères et sœurs pour choisir une jolie composition en vue de fleurir sa tombe. Il avait sélectionné une pomponette à fleurs jaunes, une inflorescence de petits cœurs jaune pastelle comme le cœur de sa mère,  il n’aurait pu trouver mieux. Tout en ruminant ses funestes pensées,  il se dirigea nonchalamment vers le cimetière. C’est un choc violent, métallique, comme un coup de marteau  qui le prit par surprise, et le tira sans sommation de cette inutile mélancolie.
Il venait de se heurter la tête contre un lampadaire !
Une main sur le front, l’autre voltigeant comme une feuille d’automne en quête d’un équilibre précaire, il fut happé par un tourbillon. Il vacilla avec lenteur, sombrant de toute sa hauteur à la manière d’un grand arbre qui vient d’être abattu, laissant la belle pomponette se fracasser sur le trottoir. Il rebondit mollement sur le macadam, et déjà un liquide chaud et visqueux vint ruisseler sur son front.  
C’est alors qu’une  jolie mélodie lui parvint aux oreilles ou peut-être était-ce un rêve ?

– Monsieur, ça va ? Voulez-vous que j’appelle les secours ?
Il ne savait pas, il aurait voulu que sa mère soit là pour le réconforter en lui tenant la main et soigner la petite plaie avec un simple baiser. Les images étaient floues, les sons lointains, il n’éprouvait aucune douleur, il cherchait juste à comprendre ce qui lui arrivait.
– Monsieur vous m’entendez ? réitéra la voix douce et sensuelle.
Il se laissa bercer par cette mélopée relaxante. Cela ressemblait vaguement aux chants des baleines, une acoustique des abysses, envoûtante, hypnotique.  Il en absorbait intégralement les moindres bribes. Etait-il conscient ? Etait-il en train de jouer la comédie ?  Il appréciait cette ivresse, ne plus penser, ne plus agir, ne plus décider … se laisser porter par l’inconnu ! Enfin libre !
– Monsieur, les secours ont été alertés ! N’ayez pas peur, je vais rester à vos côtés. Si vous m’entendez serrez-moi la main.
Il sera doucement la main qu’on lui offrait, une main douce, chaude et réconfortante, la douceur d’un cocon de soie. Il se sentait bien, résurgence d’un souvenir d’enfance, celui du vendredi à quatre heures et demie précises. Chaque fin de semaine, il jubilait, un rituel intime s’était installé, sa mère l’attendait au portail de l’école, rien que pour lui. Il s’empressait de glisser sa main dans la sienne, heureux comme peut l’être un enfant, et tout le temps du trajet à pied, il lui racontait sa journée, ses nouveaux copains, ses petits chagrins. Il était tellement bien à tenir cette main, c’était un temps d’intimité particulier, quelques minutes pour communier, raconter, se laisser aller, bien protégé par la main qui le tenait.  Il avait envie de retrouver cette sensation, de se confier, de témoigner, de dire tout ce qu’il avait tu jusqu’à présent depuis de si longues années. Peut-être maintenant ?
– Ne vous inquiétez pas Monsieur, je suis là, les pompiers vont arriver.
A présent, Il ne voulait pas qu’on vienne le soigner, il comprima la main un peu plus fort et celle-ci ne se déroba point, il en fut rassuré. Il avait tant à dire, tout ce chemin, cette vie à courir, à chercher en vain les petits moments de bonheur. Il fallait qu’il lui dise, saurait-elle l’écouter ?
– Je m’appelle Gabriel et ma mère d’adoption me manque. Je l’ai négligée, mise de côté, usurpée. J’aimerais tant retrouver quelqu’un comme elle, j’avais tant de choses à lui dire !
Le bruit des badauds  perturbait la conversation, on entendit quelqu’un annoncer que le pauvre homme délirait ! Mais la pression exercée sur sa main l’incitait à continuer, à ne plus hésiter, qu’il y avait une connexion de disponible, une fréquence plus sensible, une écoute disponible.
_ J’ai vécu avec avidité, j’ai travaillé, amassé, engrangé, et encore travaillé.  J’ai une belle montre à mon poignet, des ongles manucurés, point de crevasses, ni de vilains durillons, j’ai toujours été attentionné à l’égard de mes mains. Ma mère disait que les mains sont l’âme de l’homme. Je voulais les protéger, pour elle. A quoi bon maintenant qu’elle n’est plus là !
_ Gardez votre calme Monsieur, l’ambulance ne doit pas être loin !
La main était toujours là, il pouvait en ressentir les moindres vibrations, la douceur, la sensualité. Malgré son état de fatigue intense et son envie de se laisser sombrer dans le néant, la main le rappelait constamment à un état de veille ! C’était le dernier fil ténu qui le rattachait à la vie ! Cette sensation lui plaisait, le monde pouvait s’écrouler, il avait quelque chose à laquelle s’accrocher ! Une toute petite anfractuosité à la surface d’un rocher, cela lui suffisait amplement pour tenir quelque temps. Pourrait-il seulement lâcher un jour cette main ?
Malgré l’action des endorphines qui brouillait ses capacités auditives, il lui semblait déjà entendre le bruit agressif des sirènes, les services de secours ne devaient pas être loin, encore quelques minutes et il serait livré à d’autres mains. Des mains fortes qui le hisseraient dans leur véhicule et le conduiraient vers la résurrection.
_ Tenez bon Monsieur, ils approchent !
Son pouls s’emballa, sa main se crispa, écrasant celle de l’étrangère dans un étau puissant.
L’inconnue commençait à prendre peur, sa main trop comprimée commençait à se cyanoser, de petites veinules apparaissaient à sa surface. Le sang sous pression  venait s’échouer par vagues successives sur les métacarpes violemment écrabouillés. Les petits os des phalanges semblaient prêts à craquer,  la pince exerçait une pression beaucoup trop forte. La main prisonnière essayait vainement de se dérober ! Mais plus la main tentait de s’échapper, plus la tenaille s’intensifiait.
– Monsieur, vous me faites mal ! Pourriez-vous relâcher quelque peu votre étreinte ? Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous abandonner.
La voix lui parvenait par saccades, avec une légère pointe d’angoisse. Il devinait que la main lui envoyait des signaux de détresse, elle voulait se retirer ! Il ne savait plus quoi faire, lâcher prise ou s’accrocher comme un forcené ! Il était effrayé à l’idée d’être déjà abandonné.
Une voix aux tonalités plus graves vint perturber ses pensées. On tentait vainement de lui faire lâcher prise. Il se demanda si on allait lui arracher le bras, mais il tenait bon, il ne lâcherait pas, une fois avait suffit. C’était un combat de titan qui se déroulait, il résisterait contre vents et marées à cette perfide agression. Soudain il ressentit comme une piqûre de guêpe à l’épaule, suivie immédiatement d’une sensation de chaleur  qui semblait grimper à vive allure le long de sa nuque.  Malgré la lutte qu’il continuait pour conserver la précieuse main, il sentit déjà sa poigne perdre de l’assurance, ses doigts se relâchaient les uns après les autres en commençant par le pouce puis l’index et lorsque le majeur perdit le contact alors il sut qu’il avait perdu.
Aussitôt, on le projeta dans les airs, tel un vulgaire pantin. Il fut sanglé avec fermeté et immobilisé sans état d’âme dans un solide matelas coquille que l’on gonfla à outrance.  Son infortunée main, devint aussi froide et stérile que la matière plastique et rigide sur laquelle elle reposait.  
_ Nous vous emmenons au service des urgences, Monsieur ! Si vous m’entendez, serrez-moi la main ! répétait inlassablement une voie monotone.
Mais, il n’avait pas envie de communiquer avec cette main, il ne ressentait aucune vibration, aucun bienfait juste une formalité, comme tout serrage de pogne conventionnel. Il aurait tant voulu retrouver la main d’avant. C’était désolant, il avait l’impression d’avoir de nouveau perdu sa mère adoptive. Encore un deuil à accepter, serait-t-il capable d’affronter ce nouveau traumatisme ? Retrouverait-il un jour cette main apaisante ?
Un violent choc électrique vint agresser sa conscience, son corps se souleva instantanément et retomba mollement comme une crêpe. Un furtif instant sa pensée se remit en marche, inconsciemment sa main se dressa, fouillant  l’air, en quête d’une ultime prise, d’un quelconque point d’amarrage,  mais elle ne trouvait rien de préhensible, du moins rien qui n’exprime une fugace chaleur, pas même une sobre caresse, rien !
_ Putain, ça ne marche pas ! s’énervait l’ambulancier. Il va crever ! Je ne sens plus son pouls, ses mains sont gelées !
Un nouveau claquement électrique fut déclenché sans sommation, le corps bondit  d’un bloc puis retomba comme une pierre. Toujours, rien ! L’électrocardiogramme hurlait des petits bips sournois, constants, répétitifs, une ligne d’un vert opalescent traversait horizontalement l’écran de contrôle.
_ Merde, c’est foutu, il ne revient pas ! Je fais un dernier essai !
Blam ! Encore un choc ! Cette fois le corps se souleva à peine comme s’il était déjà pétri dans la glaise. Un bras glissa hors du brancard et se mit à balloter, oscillant de plus en plus faiblement, la main en suspension s’ouvrit comme une corolle flétrie, dévoilant cinq doigts rabougris, blanc crayeux, piquetés de deux vilaines taches de rouille sur les plus grands d’entre eux. Les dernières phalanges étaient légèrement incurvées vers l’intérieur comme de vieux fils barbelés.
Pas de doute, c’était terminé !

© Patrick Labrosse 2017

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13 réponses

  1. Bonjour,
    Personnellement je trouve ça trop réaliste.
    Lorsque c’est très réaliste, je ne vois pas l’intérêt de l’écrire. C’est un peu comme quelqu’un qui dit « moi j’aime mes enfants »…
    Oui ben c’est évident et pourquoi tu dis ça ????
    On dirait une description d’une scène quotidienne.
    L’humanité traverse ça tous les jours.

    Je n’aime pas le réaliste, ça me tue. Les infos ça me tue.
    C’est mon avis très personnel, pas du tout « professionnel » et très subjectif.

    Cordialement,
    Christine.

    PS : je suis infirmière aux urgences ^^

    • labrosse dit :

      merci de vos remarques

      ce texte appartient juste à un petit recueil de nouvelles concernant la puissance émotionnelle de nos mains. j’ai choisit des nouvelles réalistes et d’autres plus fictives. ce texte est donc à décortiquer avec l’œil rivé sur la main. uniquement la main …

      bonne journée

      Patrick

      le recueil s’intitule : petites histoires décapantes de nos phalanges

      • Je comprends le contexte. La description prend le pas sur l’émotion je trouve. C’est très descriptif. Du coup lorsque je lis je suis prise par les images mais pas par les émotions. Il y a beaucoup d’adjectifs qualificatifs, ça guide énormément mais du coup ne laisse pas la place à l’émotion, c’est comme si on manquait de liberté en lisant.

        Il y a aussi beaucoup de « lieux communs » : « se laisser porter par l’inconnu, s’accrocher comme un forcené, tel un vulgaire pantin, le monde pouvait s’écrouler… ».

        Peut être que tout ça est voulu et que ça donne un style recherché, mais pour de l’émotionnel je trouve que c’est antinomique.

  2. Michel-Denis ROBERT dit :

    Le style est adapté.
    Dans son état de semi-conscience, la description détaillée conduit le pauvre patient vers un glissement progressif et irrémédiable.
    Mais cette histoire demande une suite pour compenser la perte dans une passion régénératrice.
    Alors ! J’attends la suite.

  3. Tarrep dit :

    Le thème est très fort, le style est trop faible. Belle marge de progrès, l’art décrire s’apprend à ses dépens

    • labrosse dit :

      merci Tarrep

      vous avez raison,je dois travailler encore et encore mais quand on est passionné,on s’accroche comme un forcené…

      à la prochaine Maitre Jhoda

      Patrick

  4. LELEU Yvette dit :

    Hello
    moi j’ai aimé, on est dans l’attente de la suite, cela permet aussi à l’esprit de trouver une fin, on s’imagine à la place de cet homme, le froid qui s’empare de lui, la peur qui taraude son esprit, le besoin viscéral de retrouver un peu de chaleur humaine et l’angoisse face aux ambulanciers qui ne pensent qu’à lui sauver la vie mais, ne lui prodigue peu pu pas de chaleur humaine, d’amour tous simplement de quoi se rattacher à la vie qui s’en va. Ou est la main pleine de vie, d’amour,de chaleur?

  5. Clémence dit :

    Une histoire contenant deux temps forts. La main de la jeune fille et…l’autre main, refusée.
    Un récit qui me rappelle le film « Les choses de la vie », pour cette conversation intérieure. Pourquoi pas?

    En revanche, la multiplicité des redondances gêne la lecture.
    Alors que l’on imagine cette lente descente vers la fin, le style la transforme en une série de soubresauts…

  6. Michel-Denis ROBERT dit :

    Bonjour,
    1ère phrase : (Je supprimerais « maussade et déprimante… naturelle et humaine.)
    Le lecteur doit rester léger même face à l’ambiance de novembre.
    Les rêves ensoleillés somnolaient… plutôt que « étaient en somnolence.
    (Je supprimerais même : après du repli sur soi…)
    Gabriel avait… : (je supprimerais surface terrestre.)
    Il avait sélectionné une pomponette de petits coeurs jaunes pastel… (je supprimerais : à fleurs jaunes, une inflorescence )
    Il serra (deux r à serra)
    Peut-être maintenant ? (Pourquoi peut-être maintenant ?)
    L’inconnue commençait à prendre peur : (je supprimerais un « commençait ») puis, je dirais : sa main trop comprimée cyanosait
    en PREMIER, par le pouce ( je supprimerais un autre « commençant »)
    Sinon le corps du texte amène bien l’issue fatale.
    Reviens Patrick Labrosse.
    Amicalement Michel-Denis ROBERT

  7. Levassori dit :

    Histoire touchante mais je trouve le style trop ampoulé, trop d’emphases. L’auteur gagnerait à être plus simple. Ceci dit, on s’y laisse prendre

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