366e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat

Prostré sur son piédestal,
un homme de bronze s’inquiète.
Son ombre l
‘aurait-elle plaqué ?
Habituellement, elle s’éclipse le soir
puis revient au grand matin.
Mais…

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31 réponses

  1. Françoise - Gare du Nord dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l’aurait-elle plaqué ?

    Il se mit à cogiter.

    « Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin.
    Il en est de même lorsque le ciel est maussade : elle disparaît pour réapparaître dès que le soleil revient.

    Les premiers temps, J’étais méfiant. Je lui trouvais l’air un peu fuyant. Puis, avec le temps, la confiance s’est installée pour toujours, pensais-Je naïvement.

    Il est vrai qu’elle est là depuis des lustres, fidèle, effacée, soumise. Enfin, tout ce qu’on demande à une fem… heu ! Je veux dire à une ombre.

    Mais ce matin, Je ne l’ai pas encore vue. Pourtant le soleil luit de mille feux et il est déjà près de midi. Que fait-elle cette feignasse ?

    M’aurait-elle plaqué, elle, ce simulacre de Moi, ce faux-semblant, cette moins que rien ? »

    Il réfléchit longtemps mais ne trouva ni réponse, ni son ombre.

    Cinquante ans plus tard

    Toujours méditant le départ de son ombre, sans en avoir trouvé l’explication, notre homme de bronze entendit un jour le dialogue suivant :

    «- Oh Maman! Regarde, ici il n’y a pas d’ombre !
    Oui, je sais. Elle est tirée il y a quelques décennies. Faut la comprendre. C’était une ombre chinoise, elle en avait assez de tourner autour d’un pauvre type qui restait assis toute la journée à philosopher.
    Ah oui ! Carrément pas marrant.
    Tu peux le dire. Elle est partie comme ça, du jour au lendemain, sans un mot d’explication.
    Ce sont des choses qui ne se font pas, n’est-ce pas Maman ?
    Non mon chéri. Elle a peut-être eu peur qui’il ne la retienne alors que …
    Mais que voulait-elle ?
    Il faut que tu saches qu’une ombre chinoise peut se transformer en n’importe quelle figure. alors dire une ombre figure ne lui convenait pas. Cela durait depuis trop longtemps. Elle voulait se métamorphoser chaque jour et plusieurs fois par jour, épouser toutes les formes. Elle voulait plus d’imagination, plus de …
    Où est-elle partie Maman ?
    Hélas mon chéri je ne saurais te dire ce que fut sa vie jusqu’à aujourd’hui mais j’ai entendu dire plusieurs choses sur elle, sans aucun doute des inepties.
    Comme quoi Maman ?
    Dans un premier temps, elle serait rentrée dans un zoo où elle put à loisir se transformer en tous les animaux de la création puis elle serait rentrée dans la Résistance pour rejoindre l’armée de ses semblables.
    C’est tout ?
    Non mon chéri. Ce fut ensuite la littérature où elle tint le rôle titre chez, entre autres, Henri Bosco et Francis Carco puis elle fit une apparition époustouflante auprès de jeunes filles chez Proust. Elle fit carrière aussi au cinéma dans un nombre incalculable de films où … »

    Notre homme de bronze refusa d’en savoir davantage. Il pensa à ce qu’il venait d’entendre.
    « Un zoo ! Elle avait dû se rendre ridicule à se transformer en guenon ou en hippopotame. La Résistance. Je me gausse à l’imaginer, elle si poltronne, déballant – même ce qu’elle ignorait – dès qu’elle a vu une simple paire de ciseaux.
    La littérature : les deux premiers auteurs, sans doute pour la rime. Quant à Proust, elle a dû penser qu’elle poserait dans des tenues éthérées pour des photos diaphanes de David Hamilton.
    Et le cinéma, Je la vois plutôt dans des films côtés à la fin de l’alphabet ».

    Notre homme de bronze aurait dû écouter le dialogue jusqu’à la fin ainsi il aurait appris que Son ombre venait de se fixer, à quelques pas de lui, aux pieds d’un Baiser où elle se révéla lascive, voluptueuse et sensuelle, enfin tout ce qu’on demande à une fem… heu ! Une ombre.

    Le Penseur de Rodin

  2. Peggy dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l‘aurait-elle plaqué ? Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin. Mais…depuis quelques jours elle n’est pas apparue.
    Il est installé là sans pouvoir bouger, sinon il l’aurait cherchée, on ne l’abandonne pas aussi facilement, lui !
    Elle doit bien être quelque part, ça ne fait pas de fugue une ombre, c’est fidèle comme un chien auprès de son maître.
    De son côté, elle, a envie de se reposer, l’été est très éprouvant pour une ombre, elle passe son temps à grandir à rapetisser dans un mouvement incessant au gré du soleil. Tiens LE soleil encore un mâle ! Ras le bol d’être au service de ces messieurs. Et puis l’autre sur son piédestal, qui me toise sans jamais baisser la tête pour avoir un geste amical. Ça fait des siècles que je ne l’ai jamais trompé. Toujours fidèle à ses pieds sans jamais regimber. Il pourrait avoir un peu de reconnaissance pour mes loyaux services. Les rendez-vous des visites ont toujours lieu à son piédestal et qui protège les gens des brûlants rayons de l’Astre ? Et bien moi.
    Ben voilà j’en ai marre de toujours ramper à ses pieds.
    – Mais bon sang où peut-elle être ? Elle charrie. Sans moi point d’ombre, elle n’existerait pas. Plus je suis grand plus son aura est étendue. Il faudrait qu’elle s’en rende compte quand même !
    Ombre a entendu parler d’une manifestation qui pourrait bien l’intéresser. Elle devrait partir de la Tour Eiffel ou de la Tour Montparnasse.
    Deux jours plus tard, l’homme de bronze excédé, voyant que le lampadaire, son voisin n’a plus d’ombre non plus, se décide à le questionner :
    – Je vois qu’aujourd’hui ton ombre a déserté aussi, moi ça fait des jours et des jours.
    – Tu n’es pas au courant ?
    – Ben non, sinon je ne te demanderai pas.
    – Elles se sont révoltées et manifestent
    – Quoi ?
    – Quoi ? Les ombres, c’est bien ce dont tu parles ! Oui mon cher, elles se sont syndiquées et défilent sous la bannière MLO
    – C’est à dire ?
    – MOUVEMENT DE LIBÉRATION DES OMBRES

  3. Enyo dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète. Son ombre l‘aurait-elle plaqué ? Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin.
    Mais…

    Félix venait de recevoir son courrier. Il lut rapidement la missive et la glissa dans la poche de sa veste.
    D’un pas tranquille, il s’en alla vers le banc de bois, adossé aux rosiers et jasmins. Les abeilles butinaient les lavandes et les cigales cymbalaient dans les platanes.
    Les mains de Félix entrèrent dans la danse, esquissèrent des silhouettes graciles, en ombres chinoises sur son pantalon de toile blanche.
    A court d’inspiration, il croisa ses mains sur son ventre et se laissa aller aux plaisirs de la méridienne.

    Au loin, le campanile sonna les premiers coups d’après midi, mais Félix ne les entendit pas. Les mots de la missive – une commande- déambulaient sous ses paupières closes.
    Un souffle régulier chuintait. Félix dormait, bercé par son imagination qui lui murmurait: « Sois audacieux ! ». Et ce fut un florilège, un délire de fantaisies chromatiques et anachroniques…

    Horatio Nelson ouvrit la marche. Certes, il avait fait de l’ombre à Napoléon, pour un coup bas dans l’eau, mais pas de quoi s’inquiéter là-haut sur sa colonne à Trafalgar Square. Quoique avec le Brexit, il risquait de faire un sacré plongeon !
    Sans passage de témoin, le très british vicomte et vice-amiral, fut rejoint par le « Coureur » de José-Maria de Hérédia, rivé sur son socle qu’il foule d’un pied de bronze, plus vif que le vent, mais inquiet de voir, non pas son ombre le dépasser, mais un marathonien!

    Poursuivant son voyage autour du monde, Félix s’esbaudit devant l’incroyable : deux statues gargantuesques. Père et fils, il ne manque que l’esprit. Un orgueil qu’il ne faudrait pas chatouiller. On ne sait jamais, le gamin manifeste des velléités à pousser le bouchon. Sauve-qui-peut !

    L’Amérique du Sud est un bon refuge, dit-on, bien que la rumeur y coure aussi. Il paraît que le Rédempteur du monde a la vengeance aussi coriace que celle des Horaces . De ne plus voir son ombre sur le Corcovado, il aurait jeté un mauvais sort sur le stade. L’équipe de football n’a pas gagné la coupe du monde…Quelle déveine ! À noyer son chagrin sous le pont de l’Alma avec ce brave Zouave, inquiet de voir l’eau de la Seine l’engloutir corps et ombre.

    Tout à coup, Félix se vit, statufié. Courbé et la tête entre les mains, torturé par les affres de la création. Non, c’est impossible ! Rendons à Auguste ce qui appartient à Auguste !
    Rien n’empêche, cette commande virait au délire ! Mais quel délire ! Une cure de jouvence  offerte par ce drôle de petit bonhomme joufflu, zizi au vent ! Aujourd’hui encore, il rit de son idée géniale pour éteindre un incendie. Pas la moindre ombre de gêne devant les badauds. D’ailleurs, au plat pays, le ciel est bas, la pluie est reine et l’ombre rare.

    Les heures s’étaient écoulées. L’ombre fraîche du figuier sortit Félix de sa douce torpeur.
    Il reprit la missive et caressa sa moustache en souriant. Il se leva et se dirigea vers son atelier. Ce Manneken bruxellois lui avait donné une idée…

    Quelques semaines plus tard, surgi de sa gangue, un adolescent nu, beau comme un Adonis, envoûtait son créateur en jouant de la flûte traversière.

    Félix grava son nom puis titra son œuvre : L’Improvisateur.

    Si un jour vos pas vous mènent jusqu’à Bandol, sur la place de la Liberté, ombre ou pas, ne soyez pas inquiet, osez, osez…il n’y aura aucune réaction…

  4. La place immense est noire de monde.
    Le palais présidentiel, monstrueux parallélépipède, flanqué de colonnes doriques qui rythment sa façade telle une armée au pas, arbore les drapeaux officiels, dont les couleurs se répètent ad nauseam en saturant l’espace.
    En face, le Temple de la Justice Populaire, tout aussi imposant,avec son lourd fronton triangulaire marqué de la devise nationale – « Un guide, un peuple, un seul cœur » – est gardé par les bas- reliefs colossaux des déesses du Droit et de l’Équité, qui entourent sa porte monumentale.
    Entre les deux bâtiments, une étendue de béton à perte de vue se prête aujourd’hui à un anniversaire : L’arrivée au pouvoir du « Grand Leader incontesté du pays du Bonheur Rayonnant ».

    Il devrait être là d’une minute à l’autre. Et les officiels guettent, aussi loin que porte leur regard, l’arrivée de la rutilante berline noire et chromée aux vitres fumées.
    En attendant l’apparition du dirigeant bien-aimé, au centre de la place, sa gigantesque statue de bronze au regard visionnaire fixé sur l’horizon, montée sur un piédestal, tient le peuple en respect.

    « Il arrive !! le voilà ! »
    Un murmure parcourt toute la vaste assemblée.
    Chacun est à son poste et retient son souffle. Les flonflons massés devant le palais s’ébranlent et la fanfare accueille son chef dans un tintamarre ronflant et martial.
    La foule fait silence et attend, suspendue aux lèvres du grand homme qui va prononcer son discours annuel.
    Ce discours va ressembler à celui des années précédentes. Il vantera les réussites incontestables  du régime et le retour à l’ordre, restauré par ses soins .
    Car c’est d’une poigne de fer qu’ Arturo Gomez gouverne ce petit pays depuis maintenant trente ans. Il a lui-même initiée la révolution glorieuse qui a arraché ce peuple à l’oppression. Sanglé dans son uniforme noir impeccable, les bottes et le ceinturon bien brillants, la casquette aux décorations dorées vissée sur un crane aux poils gris en brosse, il respire la solidité rigide de celui qui sait où il va. Ses lunettes noires cachent son regard énigmatique. Sa poigne de fer qui interdit toute velléité de rébellion lui ont valu son surnom d’Homme de Bronze. Un surnom dont la fortune promet de passer à la postérité.
    La journée se passe donc sans surprise dans un ordre parfait.

    Le lendemain de ce jour glorieux destiné à rester dans les mémoires, Gomez se réveille de mauvaise humeur, avec la gueule de bois. Il n’a pourtant pas abusé plus que d’habitude des spiritueux, et de toutes façons il tient très bien l’alcool. Mais quelque chose ne tourne pas rond.
    Il est tôt et ses appartements sont allumés, comme chaque matin. Il circule d’une pièce à l’autre et surprend ses domestiques, qui s’interrogent l’un l’autre des yeux, dans son dos. Ses questions ne rencontrent que dénégations. Et il se contente de les traiter d’imbéciles.
    Il lui faut attendre midi et le passage en revue de ses troupes sur le champ de Mars pour découvrir lui-même la raison des regards surpris qu’il rencontre depuis son réveil : La journée est radieuse, le soleil rayonnant, mais au milieu de la vaste assemblée des hommes il est le seul… à ne pas avoir d’ombre.
    Il pense d’abord à une illusion, fait des allées retours, questionne ceux qui l’entourent, et finit par se rendre à l’évidence : son ombre a déserté .
    Il convoque tous les médecins du pays, qui avouent leur impuissance. Et se retrouvent tous en prison pour refus d’obtempérer.
    La nuit suivante, la fautive lui apparaît en rêve et lui fait savoir qu’elle s’en voudrait de faire de l’ombre à un si grand homme, qu’elle en a assez de sa raideur, qu’elle a envie de s’amuser un peu et a décidé d’apprendre le swing.
    Qu’à cela ne tienne ! Dorénavant ses discours publics se feront sous de multiples projecteurs qui démultiplieront la lumière et les ombres, pour qu’ aucun spectateur ne puisse déceler l’anomalie.
    Et les choses ont lieu ainsi, sans dommage pour le prestige présidentiel.

    Un mois passe. Mais un matin, le leader se réveille avec un fort mal de tête.
    Il absorbe son petit déjeuner puis, grognon, se rend à sa toilette.
    Il renvoie ses domestiques qui s’écartent respectueusement devant la colère du maître.
    Il allume la salle de bain, il se regarde dans le miroir et découvre… qu’il n’a plus de reflet.
    Et il a beau se frotter les yeux…
    Il sort en trombe de la pièce, cherche d’autres miroirs, et constate la même chose : il ne se reflète nulle part.
    Aussitôt tous les psychologues de la république sont appelés. Mais aucun ne peut proposer de solution. Et tous sont envoyés aux travaux forcés pour incompétence et abus de confiance.
    La nuit qui suit, son image lui apparaît en songe, explique qu’il ne supporte plus de reproduire les grimaces qu’il lui impose de bon matin, et que, plutôt qu’être seulement le reflet d’un homme si important, il préfère s’effacer, conscient de son inconsistance.
    Le grand leader devra veiller désormais à éliminer toute surface réfléchissante lors de ses apparitions publiques. Et bien sur, à l’intérieur du palais présidentiel lui-même, on supprime tous les miroirs, même les plus petits.
    Et le Président s’accommode tant bien que mal de ces arrangements.

    Tout semble alors rentrer dans l’ordre.
    Pourtant, quelques temps après, le grand homme passe une très mauvaise nuit. Il se réveille avec la bouche pâteuse et veut appeler son personnel pour demander un verre d’eau.
    Surprise ! Aucun son ne sort de sa bouche !
    Il se racle la gorge, s’exprime par gestes, espérant que la voix lui reviendra en buvant. Mais non ! Le voilà aphone !
    Ce ne peut être que provisoire et les jours s’écoulent dans cet espoir.
    Mais tous les sirops, toutes les pastilles adoucissantes, tous les massages ou médicaments n’y font rien. La voix ne revient pas.
    On convoque d’urgence les orthophonistes les plus réputés du territoire. Sans résultat.
    Ils sont aussitôt déchus de leurs droits civiques et traités comme des réfugiés indésirables, que la police poursuit à travers tout le pays pour les expulser.
    Mais que faire sans voix pour haranguer le peuple ?
    Dorénavant des hauts parleurs diffuseront les discours enregistrés du chef qui les prononcera en play-back. Un peu d’entraînement pour que les mouvements de la mâchoire s’accordent au rythme du texte et l’illusion sera parfaite. Quant au contenu, il n’a guère varié depuis le début du mandat présidentiel et le public n’y verra que du feu.
    La nuit suivante sa voix lui apparaît. Lasse de radoter toujours les mêmes choses, elle a décidé de reprendre sa liberté de parole. Et elle le laisse là sans attendre sa réponse, qu’il est bien incapable de lui donner.

    Notre homme se croit arrivé au terme de ses ennuis.
    A présent, chaque jour, dès qu’il ouvre l’œil, il redoute une nouvelle catastrophe. Et il se montre particulièrement irascible à son lever.
    Mais aujourd’hui tout semble normal : Il a posé le pied hors du lit, pris son petit-déjeuner, fait sa toilette, sans relever aucune anomalie.
    Il doit maintenant s’habiller et son valet de chambre s’apprête à lui présenter des habits propres.
    Mais voilà l’homme qui revient affolé du dressing. Et qui tente d’expliquer avec force gestes que les armoires …. sont vides.
    Plus un seul vêtement !
    Plus de chemises, plus de pantalons, plus de bottes, et même plus de casquette !!
    Une plaisanterie serait du plus mauvais goût. Mais ordre est cependant donné de cuisiner tous les domestiques.
    Sans succès.
    On questionne alors les gardes, puis les militaires, jusqu’aux plus hauts gradés. Même si on reconnaît qu’il existe des moyens plus élégants pour faire un coup d’état…
    Puis c’est le tour du gouvernement…
    Bien entendu ces interrogatoires ne donnent aucun résultat.
    Notre président, en slip et chaussettes, fulmine de colère et convoque tous les tailleurs de la capitale, leur intimant l’ordre de regarnir sa penderie dans les délais les plus brefs !
    Et les hommes de l’art s’affairent, jours et nuits.
    Pour constater que dès que les vêtements sont sur le point d’être terminés… ils disparaissent, comme par magie !
    Aussi, quand le Président demande son nouvel uniforme, aucun d’eux n’est en mesure de le satisfaire.
    Alors le leader entre dans une colère noire et les condamne tous aux travaux forcés à perpétuité.
    Et comme d’habitude, la nuit qui suit, les vêtements disparus lui parlent dans son sommeil :
    Sa chemise en a eu marre d’être amidonnée : elle est partie se recycler.
    Ses pantalons déclarent que depuis le temps qu’ils sont mariés il était temps qu’ils partent en voyage de noces avec leur moitié.
    La casquette a accepté un boulot dans une multinationale où on lui propose de travailler du chapeau.
    Quant à ses chaussures elles en ont ras les bottes et le moral dans les chaussettes.

    Mais pendant ce temps, toute apparition publique de Gomez est devenue impossible.

    Le peuple patiente. On lui fait croire que son chef a pris quelques jours de repos.
    Mais les jours passent.
    Alors un rassemblement spontané se crée sur la grande place autour de l’effigie du dirigeant.
    Quelques dizaines de citoyens deviennent quelques centaines, puis quelques milliers.

    Un enfant en jouant heurte avec son ballon le corps de l’imposante statue.
    Qui rend un son creux et résonne longuement comme une cloche.
    Un ricanement surpris parcourt la foule.
    L’un joint le pouce et l’index et lui donne une pichenette.
    Contre toute attente, la statue oscille sur son socle, bascule dangereusement, avant de se répandre en mille fragments au sol.
    « A bas le tyran ! » crie l’autre.

    Le matin suivant, Arturo Gomez ne se réveille pas.
    A son tour, son cœur l’a lâché.

  5. Fred dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète. Son ombre l‘aurait-elle plaqué ? Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin.
    Mais…

    Le départ avait été donné sous une pluie de conseils et de recommandations. Une heure plus tard, le car nous fit découvrir la ville et ses alentours.
    Entourée de sept collines comme Rome, mais amputée de son titre de capitale, la Cité Ardente n’a pas à rougir de son passé, de son histoire, de sa culture.

    Notre balade se termina au Parc d’Avroy. Cet espace, niché au centre de la ville était un endroit propice pour le pique-nique. Sandwiches et boissons avalés, mes élèves demandèrent la permission de découvrir les lieux. J’acquiesçai, mais après une demi-heure, je les entendis hurler…

    – I houte-si-plou, i houte-si-plou!*

    Je les vis, transformés en une bande de Sioux, tournant et dansant autour du socle à six niches et colonnettes.

    – I houte-si-plou, i houte-si-plou !

    Un fou rire s’empara de moi.
    – Kén’ affaire à Lîdje…* me dis-je, en allant à leur rencontre.

    Je me demandais comment j’allais m’y prendre pour leur insuffler l’amour de cette ville et le respect de ce grand homme. Car, c’était tout de même grâce à lui que l’école …

    – Nom di Djou ! Mon cours d’histoire-géo était à revoir, à refondre, y incorporer des feed-back, des projections et des regards-croisés ! Assurer la transmission de savoirs et en même temps développer l’esprit critique. Tout un programme !

    Perdu dans mes vagabondages didactiques, je levai les yeux vers ce Sacré Empereur. Je fus surpris son attitude figée et son regard inquiet. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Elle ne l’avait pas plaqué, elle avait laissé ce sale boulot à ses trois petits-fils. Un si bel empire ! Écartelé en trois morceaux, nord-sud. Vlan, tranchés à coup d’épée !
    Le temps et les guerres n’ont pas arrangé les choses. Dans son sarcophage à Aix-la-Chapelle, le grand Carolus a dû boire sa coupe jusqu’à la lie, jusqu’au morcellement….

    Aussi soudainement que l’ombre s’était éclipsée, elle réapparut en hordes de soldats déchirant les plaines d’est en ouest ou d’ouest en est. L’histoire est un éternel recommencement, comme les vagues de l’Océan….

    Comme cet homme de bronze sur son socle, j’étais prostré…
    L’heure était-elle venue de s’inquiéter ?

    * Il regarde s’il pleut !
    * Quelle affaire à Liège ! 

  6. Michel-Denis ROBERT dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète. Son ombre l’aurait-elle plaqué ? Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin. Dès le lever l’homme est désorienté. Le soleil luit d’une façon qu’il ne connaît pas. Il tourne sur lui-même et ne voit jamais son ombre. Aurait-il changer de monde pendant son sommeil ?

    S’agit-il d’un complot ? Il est trop tôt pour que l’agora grouille de monde. C’est jour de marché, la place est vide. Vérifier ce changement est impossible. Il a oublié, aujourd’hui c’est férié. Le grand espace qu’il voit désert donne le sentiment d’abandon, d’un abandon pessimiste qui l’empêche de réfléchir. C’est crispant d’être dans le doute. Il voit l’absence de manifestation de ses mouvements comme un arrêt de ses fonctions vitales.

    « Si je n’ai plus d’ombre, c’est que je n’existe plus ou bien, avec un peu de chance, je suis transparent. Ce qui revient au même. Est-ce dans les attributions de la statue, de trouver une nouvelle façon d’être ? N’est-ce pas un travail humain avant tout !

    Je me heurte à ma nouvelle condition. Je ne maîtrise plus ma destinée, que va-t-il advenir ? Une page se tourne que je n’avais pas prévue. Mais pourquoi me morfondre puisque je suis statue ? Une statue n’a pas de sentiments.
    En approfondissant, si j’existe au-delà de l’homme que je fus, c’est que les sentiments qui m’ont procréée, véhiculent une force que d’autres sont capables de reconnaître. La mémoire de mon oeuvre est encore vive. Peut-être que le Ciel a décidé que je ne serais plus que lumière et je ne projetterais ainsi plus d’ombre ! Suis-je donc arrivé au sommet de ce que je pouvais réaliser ? Cela me paraît prématuré. Peut-être que je suis éteinte, tout simplement. Et ce ne serait pas juste.

    Après tout, si je suis statue, c’est que je suis passée à la postérité. Le temps fait ce qu’il veut. Je n’ai pas lieu de m’inquiéter. Le complot dont il s’agit est juste dans ma tête. Je suis à peine sorti de mon rêve. J’ai voyagé toute la nuit. La mémoire me revient. J’ai approché les statues érigées en mon honneur et je les ai saluées. J’étais sur leur territoire d’influence et mon hommage ne leur a pas plu. Pas de concurrence, chacun sa zone ! C’est ce que j’ai cru comprendre.

    Pendant la nuit, je les ai toutes visitées. Elles étaient si nombreuses que je n’ai pas vu le temps s’écouler. Je les ai passées au crible. Je me suis perdu dans le nombre. « A la mémoire du nombre… » J’ai lu ça quelque part. Cela me revient comme un flash. J’ai réinvesti l’espace réservé sur mon socle, dans la précipitation. J’ai perdu le contrôle de la vitesse de mon rêve. J’ai lu :  » A la mémoire d’une ombre… » J’ai cru l’avoir perdue. J’ai cru avoir perdu mon ombre. Ma lecture de statue est déficiente. La mémoire de mon oeuvre ne doit pas rester dans l’ombre.

    Lorsque je suis revenu à moi, j’ai ouvert les yeux. Cette anomalie soudaine est un caprice du temps. Par temps de brouillard, il n’y a pas d’ombre. Vivement le retour du soleil ! »

  7. eleonore gottlieb dit :

    Prostré sur son piédestal,
    un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l‘aurait-elle plaqué ?
    Habituellement, elle s’éclipse le soir
    puis revient au grand matin.

    Mais…aujourd’hui c’est calme plat, le balayeur du parc est passé comme chaque matin vers 6 h en sifflotant, cet homme aime les matins frais et rieurs, cela le met de bonne humeur, mais étrangement ce matin il ne chantait pas aussi gaiement et même j’ai cru remarquer qu’il fronçait un peu ses sourcils broussailleux, pourtant la journée s’annonçait belle d’après la météo, et il manquait jamais la météo. Sur son socle « Pierre » se posait bien des questions. Son jardinier était triste et cela lui brisait le cœur. Lui qui attendait chaque matin sa venue pour parler un peu, échanger quelques sourires ou plaisanteries, voilà qu’Emile était passé devant lui sans même lever les yeux et il crut même remarquer qu’il évitait son regard. Pourtant Pierre depuis la veille avait avec application poli ses membres de bronze, fait reluire son crane comme un soleil ! alors quoi ? Emile ne l’aimait plus ? ou bien avait-il été influencé par René le jardinier de la serre, celui qui râle tout le temps et ne sait que médire sur tous, même, les fleurs se fanent plus vite quand c’est « sa semaine »
    Mais non ce René est en congé pour 2 weekend encore, alors ? le soleil commençait à monter et à dépasser les branches du tilleul. Pierre prenait la pose, penché sur son socle il s’appliquait, genoux relevé, bras au geste bien affirmé muscles bandés face au soleil pour mettre en valeur sa musculature d’athlète, il faut dire que son sculpteur l’avait gâté et que Pierre était très fier du résultat, tous les promeneurs s’arrêtaient pour l’admirer. Mais ce matin, les premiers joggeurs, ne le remarquaient même pas ne ralentissaient pas leur course pour un petit « bonjour » amical. Et puis ce soleil attendu était pourtant déjà haut dans le ciel et pas un nuage ne venait troubler son éclat. A la base du socle les pensées penchaient leur jolies têtes violettes vers le gravier, les primevères secouaient leurs coroles et tentaient de lever leurs pétales pour se faire un peu d’ombre bienfaitrice, le canari échappé de la cage de Gertrude, la gardienne, cherchait à picorer ses graines de millet, mais le soleil les avait déjà grillées ! tout ce petit monde n’y comprenait rien. Pierre se mit à réfléchir encore plus que de coutume. Impossible pour lui de lever sa lourde tête de bronze, son sculpteur n’avait pas prévu un tel évènement et l’avait figé dans une posture, certes théâtrale mais si peu conviviale. C’est alors que Lulu, le petit-fils de Gertrude se mit à courir dans le parc, quand il n’avait pas école il en faisait 3 fois le tour, il aimait cet endroit calme et si beau rempli de fleurs, d’arbres, de statues de reines et de princes. Comme il arrivait aux pieds de Pierre il s’arrêta net. A chaque passage il se reposait là, à son ombre fraiche, il admirait les délicates pensées, sentait le parfum des douces primevères et faisait un petit coucou à Fifi, promettant de ne rien dire à sa grand-mère afin qu’elle ne le remette pas dans sa prison de fer. Il entendit une lourde plainte venir de Pierre. Un voleur a pris mon ombre cette nuit, lamentation douloureuse qui ternissait tout son bronze, et faisait de lui, le vigoureux athlète, un pauvre homme tassé sur lui-même.
    Rodin, qui venait de temps à autre se dérider et regonfler son égo en admirant, incognito, ses œuvres, s’aperçu de cette ignominie. Il tempêta, hurla, appela Lulu pour des explications animées, le petit avait peur et serrait Fifi sur son cœur, il ne peut articuler que quelques mots : « Emile à trop balayé hier, il voulait que tout soit très propre, le président doit venir en visite cette après-midi » Rodin se calma, ajusta son auréole de génie, lissa de la main sa belle barbe blanche secoua la poussière de son pantalon, et de sa manche il poli le mollet de Pierre pour s’y mirer. Satisfait de son effet il redressa sa haute stature, et avant de prendre une pose avantageuse il prit soin de bousculer les graviers avec ses pieds, mais s’apercevant que cela blanchissait ses bottines il demanda à Lulu de prendre un râteau et de mettre tout en vrac autour du socle. Aussitôt, Pierre retrouva son ombre protectrice et se mis à reluire de mille feux.
    Vers 14 heures Emile refit le tour du parc pour s’assurer que tout était parfait pour la venue du président. Quand il se rendit compte des dégâts aux pieds de la statue de bronze il courut chercher son gros balaie de métal, commença à tout remettre en place, mais les pensées fanaient, les primevères baissaient la tête et Pierre redevenait sombre sur son socle, mais retrouvait une belle ombre qui mettait en valeur ses biceps, ses mollets, et modelait sur son front de rides admirables de réflexions
    Lulu vit arriver la catastrophe si Emile remettait en place tout le gravier pour en faire un sol impeccable il allait détruire la belle ombre de Pierre, à force de la gratter, prit de panique il fit un croche pieds avec le râteau, Emile s’écroula au sol, on le transporta dans la loge de Gertrude.
    16 h sonnaient, le président entra au jardin suivi de nombreuses personnalités. Rodin se tenait face à lui dans sa posture de génie, son auréole bien posée sur sa noble tête… mais personne ne le voyait, serait-il devenu un fantôme ?

    Lulu, espiègle, se faufila dans la troupe des grands hommes, se dressant sur la pointe de ses petits pieds il déposa Fifi sur le genou de Pierre. Il lui gratta le dos doucement et Fifi déposa une fiente bien banche sur ce noble genou. Le président reteint un sourire, le ciel se mit à gronder, quelques éclairs vinrent illuminer la statue, et dans un bruit qui ressemblait un à grognement on crut distinguer un énorme éclat de voix « je suis le plus grand artiste de tous les temps, c’est moi le Père de ce penseur célèbre », vous ne me saluez même pas, vous ignorez ma présence ! sans moi ce parc serait vide de toute œuvre digne de ce nom. Un souffle fit s’envoler sable et gravier, les spectateurs s’en allèrent en courant se mettre à l’abri dans l’orangerie , là une merveilleuse fillette sculptée dans un marbre blanc souriait avec tendresse et volupté , cette petite merveille était signée « Camille Claudel » .

  8. Liliane dit :

    Juché sur son piédestal, l’homme dresse vers le ciel ses deux bras, en signe de victoire.
    Il jubile, ce guerrier auréolé de gloire.
    Habitué aux vivats, aux flashes des appareils photos, il offre sa fierté sans gêne.
    Il rayonne.
    On dirait qu’il est fait d’or.
    Lauriers lumineux.

    Mais aujourd’hui, l’inquiétude ternit la beauté de son visage.
    Une ombre l’envahit.
    Il sait qu’elle ne le quittera pas.
    Un autre l’a éclipsé.
    On dirait qu’il est recouvert de cendres.
    Drapeaux en lambeaux.

    Prostré sur la troisième marche du podium, l’homme, tête penchée, bras ballants, pleure.
    Il a perdu la gloire.
    Il n’a gagné que la médaille de bronze.
    Ce sera donc son dernier marathon.
    On dirait qu’il a perdu le souffle de la vie.
    Mort annoncée d’une étoile.

  9. françoise dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète.
Son ombre l’aurait-elle plaqué ?
Habituellement, elle s’éclipse le soir
    puis revient au grand matin.
Mais au fil des jours l’ombre ne revint pas
    et l’homme de bronze sombra dans une grave dépression
    Un psychanalyste, spécialisé dans les troubles psychiatriques des statues, vint l’examiner. Ses yeux pour commencer où il ne décela aucune cataracte ; alors qu’il
    en était aux fesses un étron de bronze tomba. A ce bruit un aveugle avec lunettes et canne blanche qui était suivi comme son ombre par un quidam, s’approcha et on le vit enlever ses lunettes, ramasser l’étron et l’examiner sous toutes les coutures si on peut dire.
    Etonné le psychanalyste lui dit « vous n’êtes pas aveugle ? » non répondit-il je m’exerce pour un futur rôle.
    Vous êtes comédien ? Non futur comédien, enfin je l’espère. J’ai écrit un scénario dont la vedette principale est un aveugle et je suis à la recherche d’un d’un producteur.
    Je vous souhaite bonne chance dans ce cas.
    Sur ces mots tous partirent.
    Chaque jour , le spécialiste venait voir si l’état psychique de l’homme de bronze s’améliorait, hélas sans pouvoir diagnostiquer une amélioration quelconque et petit à petit, devant son impuissance, il devint dépressif lui-même. Mais, miracle ou pas, au bout de quinze jours, son ombre étant revenue, l’état psychique de l’homme de bronze et du même coup du psychanalyste s’améliorèrent.
    L’histoire fit la une des journaux .L’étron fut vendu aux enchères à Sotheby’s 4et acheté par un riche collectionneur américain qui voulut garder l’anonymat. Le produit de la vente, sous l’influence de Brigitte Macron, fut versé à un fonds pour la recherche contre l’autisme.
    On ne sut jamais si les projets cinématographiques de notre faux aveugle virent le jour….

  10. Jean-Pierre dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète.
    Il est en effet bien seul dans le parc de la mairie, et sa tristesse n’échappe à aucun des visiteurs.

    Ce que les édiles ignoraient, c’est que les statues ont une part d’ombre qui reflète l’angoisse de leur créateur.
    Habituellement, l’ombre de la statue s’éclipsait le soir pour revenir au grand matin. Contrairement à la maîtresse du sculpteur qui faisait plutôt l’inverse.

    Un soir, l’artiste n’a plus revu sa belle qui l’avait plaqué.
    Elle avait disparu en emportant l’ombre de la statue.

    Pendant des mois, le phénomène est resté totalement inaperçu, jusqu’au jour où un gamin remarqua que la statue n’avait pas d’ombre. Il en parla à ses petits camarades qui en ont parlé à leurs parents. Ceux-ci s’en foutaient, à l’exception du maire de la commune qui craignait un attentat.
    Ce dernier emmena son petit-fils devant la statue qui faisait peine à voir : la lumière du soleil la traversait comme si elle n’existait pas, et elle n’avait pas d’ombre.
    Pour éviter que la nouvelle s’ébruite, il rabroua l’enfant :
    – Sois gentil, arrête de raconter des bêtises.
    Connaissant le gamin, il savait que la nouvelle se répandrait très vite, et sèmerait la panique dans la ville.

    Pour sortir de cette situation lamentable, la municipalité décida de faire venir un spécialiste.

    Le choix d’un spécialiste des ombres était difficile : ils sont rares et préfèrent éviter de s’exposer au grand jour.
    Toutefois, Lucky Luke accepta de s’attaquer au problème dans la mesure où il tirait plus vite que son ombre.

    Alors, par une nuit sans lune et sans éclairage municipal , armé de son Colt et d’une lampe de poche, il dégaina et tira.

    La statue s’écoula sur le sol, et ploc ! (bruit la balle au contact du socle de la statue)
    Le matin, juste quelques traces d’humidité. Du beau travail.

    P.S. : L’auteuR de cette fable, qui ne manque pas d’R, a subtilisé celui du dernier verbe.
    P.P.S. : Poursuivi pour escroquerie, le sculpteur a passé plusieurs années à l’ombre.

  11. Daisy dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète. Son ombre l‘aurait-elle plaqué ? Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin. Mais ce matin, elle n’est pas là. Pour tromper son angoisse, il regarde autour de lui. Il remarque que l’ombre de l’hôtel de ville a aussi disparu. De même, les branches des arbres sont toutes seules.

    Il se passe quelque chose. La statue du général pourtant est soulagée de ne pas être le seul à avoir été abandonné par son ombre. Il se doit pourtant d’agir pour rendre hommage au héros courageux qu’il représente. Sans doute quelqu’un a kidnappé les ombres pour demander une rançon. Il doit les démasquer.

    Il écoute et s’étonne du silence : pas un bruit ce matin. Ni le vent, ni les oiseaux. Les bruits de la ville ont disparu. Et les odeurs aussi. Il est temps qu’il agisse. Les malfaiteurs projettent sûrement de l’enlever lui aussi.

    Les arbres lui paraissent soudain très suspects. Ils ne bougent pas comme s’ils essayaient de ne pas se faire remarquer. Le banc sur la place a aussi un comportement bizarre : il ne lui répond pas quand il l’appelle.

    – Mais que se passe-t-il ce matin ? Qui nous attaque ? demande-t-il discrètement à l’horloge de l’hôtel de ville.

    Elle ne répond pas. Le temps s’est arrêté. Les aiguilles ne cessent pas de dire qu’il est 11h. L’homme de bronze voudrait brandir son épée pour toucher son ennemi invisible, mais elle est attachée à sa cuisse de bronze.

    Il se sent impuissant. On a volé les ombres, les bruits et les odeurs de la ville. On a même dérobé le temps. Aucun indice, aucune explication.

    – Mais que se passe-t-il ce matin ?

    Une petite voix soudain lui répond, l’oiseau qui se repose sur son épaule.

    – On nous a fait passé en deux dimensions.
    – Pardon ? Pourrais-tu parler clairement ?
    – Nous ne sommes plus sur la place de l’hôtel de ville, mais sur la photo de la place de l’hôtel de ville.

  12. patrick labrosse dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l’aurait-elle plaqué ?
    Habituellement, elle s’éclipse le soir
    puis revient au grand matin.

    Mais voilà, toute chose a une fin !
    L’ombre avait fini par se décourager, de ce bellâtre trop lumineux,
    De son apparence mondaine, de son égo beaucoup trop grand
    Toujours à se regarder, à s’idolâtrer, à briller sur son piédestal.
    Petit pourtant il s’amusait à regarder cette ombre qui le suivait comme son double.
    Il essayait de la faire rire, de lui tendre la main, de lui parler
    Peu importe si l’autre restait mutique.
    Elle était là, discrète, accroché à ses basques
    Sans jamais lui faire d’ombre.
    Et puis il avait côtoyé d’autres habits plus chatoyants
    A l’ombre il avait préféré son reflet,
    Juste lui, l’unique, le héros, le roi, dieu en personne
    Sa dernière lubie étant de paraitre pour l’éternité
    Chacun devait se souvenir de ses fastes et de sa toute puissance.
    Il eut pour première idée de revendiquer son droit d’entrée au musée Grévin
    Mais on l’avait refoulé, on avait osé se méprendre sur ses qualités
    Peu importe, il ferait lui-même édifier son arc de triomphe
    Il avait pour ce faire imposer au conseil municipal que l’on inaugure au centre du village, sur la place publique, un bronze de sa collection personnelle
    Personne n’osa refuser, il était influent et on avait besoin de son argent
    Ce fut une inauguration en fanfare, tout le village fut convié
    Cadeaux et friandises seraient distribués
    L’œuvre était gigantesque, 3 ou 4 mètres de haut sans compter le piétement
    Elle était recouverte d’un drap de soie rouge,
    A l’heure dite, Tout le monde se tenait coi, on attendait impatiemment de voir se dessiner sur fond de ciel la silhouette ou le buste du mentor
    Enfin on entonna la marseillaise, un élu d’importance s’approcha, certainement un futur ministre, peut-être même le prochain président
    Lorsque celui-ci soutira d’une main preste le voile officiel : La surprise fut de taille, chacun fut troublé
    L’assistance se tenait silencieuse, les élus étaient médusés,
    Cet immense bronze représentait un homme prostré, la tête nichait au creux des mains, on devinait ses traits angoissés, la peur qui le tenaillait, l’artiste avait bien travaillé
    Ce pouvait être vous, moi, tout un chacun
    A ses pieds une plaque mentionnait :
    La gloire appartient à ceux qui restent dans l’ombre !

  13. Camille dit :

    Prostré sur son piédestal,
    un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l‘aurait-elle plaqué ?
    Habituellement, elle s’éclipse le soir
    puis revient au grand matin.
    Mais…

    Mais ce matin là elle n’était pas revenue. Bigre! Dès le lever du jour, tout heureux qu’il était de la retrouver, l’homme de bronze l’attendait de pied ferme. Il est vrai que ses pieds étaient bien ancrés. Il avait bien pensé que le soleil se levait plus tard, quelques minutes tout au plus, vu que nous étions fin novembre et que les jours raccourcissaient. Mais au bout de 10 minutes, elle n’était toujours pas là et il commença à fortement s’inquiéter. Il était toujours très pensif et avait beaucoup d’imagination, ce qui faisait de lui un personnage très intellectuel, perché qu’il était sur son pied d’estale. De ce fait, il était toujours en proie aux plus grandes angoisses, et le fait de ne pas voir son ombre ce matin là le mit dans un grand désarroi. « Que lui est il arrivé? Comment va t elle survivre sans moi? Il n’y a que moi qui puisse m’adapter aussi parfaitement à elle. Aurait elle trouvé un autre perché? Comment faire pour la retrouver? Je ne peux hélas me déplacer sans éveiller les soupçons sur ma nature vivante. A qui vais je parler maintenant? Et puis, les gens qui ont l’habitude de s’abriter du soleil auprès d’elle, comment vont ils faire? Ils vont rire de moi, c’est sûr. Une statue sans son ombre n’est plus une statue. » Il était là prostré lorsqu’il eut l’idée lumineuse d’écouter les conversations autour de lui. Oui, c’est ce qu’il faisait parfois lorsqu’il s’ennuyait, ce qui lui arrivait assez souvent! Et c’est là qu’il comprit : « ah oui le maire va être content, cette banderole est sublime. Elle donne de belles couleurs à la place, et indique parfaitement l’entrée du marché de noël ». Mais de quoi parlaient ces gens? Ne pouvant se retourner, l’homme de bronze était bien embêté, avec son regard fixe. Puis il comprit que les services de la ville avaient installé pendant la nuit une immense banderole derrière lui qui le cachait du soleil, c’est pourquoi son ombre avait disparu. Demeurant triste de ne plus voir son ombre, il fut tout de même rassuré de savoir qu’elle lui reviendrait vite, en tous cas après Noel, à la fermeture du marché. Et il repartit de plus belle dans ses rêveries habituelles, malgré l’absence de sourire sur son visage.

  14. Cetonie dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l‘aurait-elle plaqué ?
    Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin.
    Mais la nuit se termine, il commence à entendre les passants qui se pressent à ses pieds, et il ne voit rien, aucune ombre qui lui indiquerait où il en est de sa journée, sur le cadran solaire dont il est le gnomon et qu’il connait par cœur.
    Non, il ne fait plus nuit, mais il ne fait pas jour non plus, et, de mémoire de statue, cela ne s’est jamais produit auparavant, et il cherche laborieusement une explication dans son cerveau de pierre.
    Des nuages si épais qu’ils cacheraient le soleil ? Non, ce n’est pas possible, il reste toujours une vague lueur qui arrive à passer.
    Une nuée d’oiseaux, avec le même résultat, mais même par millions, par milliards, ils ne sauraient emplir la totalité de la voûte céleste, ou alors il ferait vraiment nuit, et personne ne sortirait pour traverser le parc en pleine nuit!
    Une éruption volcanique venue d’Islande, au nom imprononçable, comme celle qui avait paralysé le ciel il y a quelques années, mais plus proche ? Mais, dans ce cas, il percevrait l’inquiétude et l’agitation des passants : ceux-ci conservent un comportement tout à fait normal, ils n’ont rien remarqué de singulier.
    Alors ? Les heures passent, le jour reste gris, ni noir ni clair, et le sol reste désespérément vierge de toute ombre.
    Alors la détresse l’envahit : il a beau être de pierre, il ne se résout pas à accepter ce qu’il ne comprend pas, il n’est plus la représentation d’un penseur absorbé dans ses réflexions, mais celle d’un homme accablé par l’adversité.
    Cela devient tellement évident que les passants le remarquent, et l’un d’eux plein de compassion lui demande ce qui ne va pas.
    Mais comment répondre lorsque l’on est de pierre ? Seules deux grosses larmes coulent de ses yeux, jusqu’au sol desséché, et se tracent un chemin, bien droit, dans la direction exacte qui serait indiquée par l’ombre.
    Un éclair de joie illumine le visage figé : S’il suffit d’un pleur pour vivre le temps qui passe, si deux larmes font oublier l’absence du soleil, pourquoi chercher à comprendre ?
    Et la vie reprend son cours, entre passants et oiseaux, entre graviers et fleurs, pour des heures et pour l’éternité…

  15. Fred dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète. Son ombre l‘aurait-elle plaqué ? Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin.
    Mais…

    Le départ avait été donné sous une pluie de conseils et de recommandations. Une heure plus tard, le car nous fit découvrir la ville et ses alentours.
    Entourée de sept collines comme Rome, mais amputée de son titre de capitale, la Cité Ardente n’a pas à rougir de son passé, de son histoire, de sa culture.

    Notre balade se termina au Parc d’Avroy. Cet espace, niché au centre de la ville était un endroit propice pour le pique-nique. Sandwiches et boissons avalés, mes élèves demandèrent la permission de découvrir les lieux. J’acquiesçai, mais après une demi-heure, je les entendis hurler…

    – I houte-si-plou, i houte-si-plou!*

    Je les vis, transformés en une bande de Sioux, tournant et dansant autour du socle à six niches et colonnettes.

    – I houte-si-plou, i houte-si-plou !

    Un fou rire s’empara de moi.
    – Kén’ affaire à Lîdje…* me dis-je, en allant à leur rencontre.

    Je me demandais comment j’allais m’y prendre pour leur insuffler l’amour de cette ville et le respect de ce grand homme. Car, c’était tout de même grâce à lui que l’école …

    – Nom di Djou ! Mon cours d’histoire-géo était à revoir, à refondre, y incorporer des feed-back, des projections et des regards-croisés ! Assurer la transmission de savoirs et en même temps développer l’esprit critique. Tout un programme !

    Perdu dans mes vagabondages didactiques, je levai les yeux vers ce Sacré Empereur. Je fus surpris son attitude figée et son regard inquiet. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Elle ne l’avait pas plaqué, elle avait laissé ce sale boulot à ses trois petits-fils. Un si bel empire ! Écartelé en trois morceaux, nord-sud. Vlan, tranchés à coup d’épée !
    Le temps et les guerres n’ont pas arrangé le choses. Dans son sarcophage à Aix-la-Chapelle, le grand Carolus a dû boire sa coupe jusqu’à la lie, jusqu’au morcellement….

    Aussi soudainement que l’ombre s’était éclipsée, elle réapparut en hordes de soldats déchirant les plaines d’est en ouest ou d’ouest en est. L’histoire est un éternel recommencement, comme les vagues de l’Océan….

    Comme cet homme de bronze sur son socle, j’étais prostré…
    L’heure était-elle venue de s’inquiéter ?

    * Il regarde s’il pleut !
    * Quelle affaire à Liège ! 

  16. Catherine M.S dit :

    Rupture

    Prostré sur son piédestal
    Gaîné de métal
    Un homme de bronze s’inquiète
    Son ombre l’aurait-il plaqué ?
    Habituellement elle s’éclipse le soir
    Dès que tombe le noir
    Puis revient au petit matin
    Quand s’éveillent les citadins
    Mais aujourd’hui …
    L’homme est seul
    Il fait la gueule
    L’homme est en colère
    C’est quoi cette galère ?
    L’homme ne peut pas bouger
    Mais la moutarde lui monte au nez
    Ça le chatouille
    Ça le grattouille
    Il a envie d’éternuer
    Mais il est figé
    Où est-elle ?
    Elle va me le payer.

    L’homme est malheureux
    Que fait-elle ?
    Avec qui partage-t-elle son pas de deux ?
    L’homme est silencieux
    Bien obligé
    Mais son cœur est fracassé
    Et si on s’approche un peu
    On peut voir des larmes dans ses yeux.

  17. Nadine de Bernardy dit :

    Dans son uniforme de la grande guerre,le poilu, prostré,un genou en terre,s’appuyait lourdement sur son arme.
    Le soleil était déjà levé,aucun signe de son ombre qui lui tenait pourtant fidèlement compagnie depuis fort longtemps.
    Que se passait-il?
    L’aurait-elle plaqué du jour au lendemain,oublié pour un autre? Lui était-il arrivé quelque chose de fâcheux,pis encore,aurait-il eu une attitude qui aurait froissé la dame?
    Sans son ombre auprès de lui,l’homme de bronze s’ennuyait,son genou le faisait souffrir,le casque lui semblait pesant.
    Pour achever le tout,un pigeon,posé sur son épaule, y laissât une trace qui n’avait rien à voir avec une décoration!
    Décidément,rien n’allait aujourd’hui.

    Le pauvre homme sombrait dans la mélancolie,ne voyait pas la fin du jour arriver,quand il entendit des voix qui semblaient parler de lui.Dans le brouhaha il ne comprenait pas ce qui se disait, mais il vit un groupe d’individus qui le photographiaient avec enthousiasme.
    « Mesdames,messieurs,un peu d’attention s’il vous plait – dit une voix masculine – vous êtes venus de toute la France pour faire un reportage sur nos monuments aux morts.Celui là est un très beau spécimen coulé dans le bronze en 1925 par l’artiste Emile Leriche.
    Remarquez le réalisme de la pose,la richesse des détails.Si vous vous penchez un peu vous verrez, sous le casque,l’admirable force du regard qui semble chercher au loin,attendre quelque chose, mais quoi?
    L’ennemi,le retour d’un ami parti en reconnaissance,la ligne bleue des Vosges?
    Cela restera à jamais un mystère.N’hésitez pas à prendre des photos afin que ce poilu,ainsi que tous les autres,reste dans nos mémoires. »

    Aveuglé par les flashs,étourdi d’émotion,il se laissait admirer,réconforté par cette attention,oubliant son ombre qui arrivait cependant,toute essoufflée,se faufilant parmi les photographes amateurs pour prendre son poste,confuse de ce retard.

    Mais une panne d’oreiller peut arriver à n’importe qui,non?

  18. laurence noyer dit :

    Prostré sur son piédestal,
    un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l‘aurait-elle plaqué ?
    Habituellement, elle s’éclipse le soir
    puis revient au grand matin.

    L’homme de bronze réfléchit
    D’un R entendu, il médite :
    « Si je manque d’R, je deviens bonze
    J’inspire, j’expire d’un R absent »

    Du matin au soir, du soir au matin
    Le bonze, en lotus est centré
    – Le non faire, solitaire, c’est dans l’R du temps-

    Tant et si bien qu’un beau jour il décolle
    de son R de lancement, il lévite
    il reste un moment en suspension au-dessus du sol
    puis jouant les filles de l’R
    part bonzer au soleil.

    Hélas, comme Icare(avec un L) il fond sous la chaleur et disparait dans l’R.

    Invisible sur son piédestal,
    l’homme de bronze est devenu un trou d’R
    Son ombre l’a bel et bien plaqué.

  19. Maryse Durand dit :

    Mon amie, ma sœur, ma fidèle complice, qui rythmait les heures, me mettait au supplice ! Toi l’inaccessible compagne, qu’on perd pendant la nuit, qu’au matin on regagne, rentrée sans le moindre bruit…
    Chaque matin tu paraissais, languissante, allongée, comme princesse au palais des mille-et-une journées. Je pouvais seulement quelques heures durant de mon regard fixe t’apercevoir. Je bouillais intérieurement lorsqu’un quelconque passant te foulait de ses pas sans la moindre vergogne. A midi, lovée à mes pieds, tu t’assoupissais. J’aurais voulu alors libérer mes bras pour te cajoler, mais de ma gangue de bronze je restais prisonnier. Les après-midi s’étiraient, je te sentais derrière moi, présente, puis ta silhouette s’estompait, légère et évanescente.
    Que dire de mes nuits ? Eclairé par le bas, violemment, je ne trouvais nul repos. Isolé sur mon socle, tel un îlot sur une mer apaisée, je ne percevais nulle présence amie. Ni l’ange aux ailes dorées, ni l’Apollon au nez cassé, silhouettes fantasques prises dans leur halo trouant l’obscurité. Non, c’est toi que je guettais, que j’attendais, mais que c’était long !
    Et aujourd’hui, j’ai attendu en vain !Pas d’ombrefeutrée, étendue à mes pieds, mon double, ma jumelle, absente à présent par quelque maléfice… Tu as pris sans doute la poudre d’escapade, profitant de la nuit pour quelque promenade, tu as déployé tes ailes et puis tu t’es enfuies…
    O promeneur, je te prends à témoin : est-il possible de survivre à un tel chagrin ? Toute statue que je suis, je ne suis pas de marbre, et il me prend soudain l’envie de me pendre au premier arbre. Amoureux de son ombre, était-ce une folie ? Désir narcissique empreint de nostalgie… Sur ma joue une larme ? Ce n’est qu’un peu de pluie…

    Maryse Durand, décembre 2017

  20. grumpy dit :

    Mort depuis longtemps, mon créateur, celui qui m’a sculpté puis immobilisé à tout jamais dans cette gangue de bronze, la pire des prisons. Depuis que l’on m’a installé tout nu sur un piédestal dans le jardin de mon musée, l’été je bronze, l’hiver je gèle. Le plus dur et le plus punitif est de me savoir condamné à rester figé dans l’une ou l’autre de ces situations pour l’éternité.

    Au lieu de les avoir emportés avec lui dans la tombe, il a choisi d’incarner par mon image son péché, son remord : un homme assis nu, au corps magnifique qui cependant se ronge.

    Chaque jour, du levant au couchant, suivant la courbe du soleil, Camille, ton âme vient comme une ombre et me tourne autour, me nargue, me hante. Elle a trouvé là la meilleure des vengeances, elle sait combien j’ai souffert et regretté jusqu’à mon dernier jour la façon dont je t’avais traitée.

    Camille, tu étais folle, folle de moi, jusqu’à la folie. J’étais tellement jaloux de ton talent si grand qu’il menaçait de me faire de l’ombre. Si fière, si possessive, si exclusive, tu as essayé de m’étouffer d’amour au point de nuire à mon travail. Tu n’as pas supporté que je te préfère Rose, la bonne, la simple, la femme-mère auprès de laquelle je trouvais la paix nécessaire à me redonner de la force après que tu m’aies sucé chaque jour un peu plus de sang.

    Tu avais sculpté notre « Valse », moi notre « Baiser ». On dit que ce sont deux chefs-d’œuvre, nous c’était notre amour. Il a trouvé son point de non-retour quand tu l’as achevé par ta pièce sublime « l’Abandon ».

    Je t’ai lâchement laissée aux mains de ta famille qui me haïssait et qui t’a enfermée pour mieux te protéger de moi, pour mieux se débarrasser de toi. Tu vécus là 30 ans de calvaire, d’oubli et d’atroce solitude, ce que tu me fais payer chaque jour qui se lève et qui se couche.

    Tout le monde voit en moi « le penseur ». Mais … ce n’est qu’à toi que je pense et c’est toi qui me ronges.

  21. Clémence dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète. Son ombre l‘aurait-elle plaqué ? Habituellement, elle s’éclipse le soir puis revient au grand matin.
    Mais…

    Mais avant…
    Le voyage avait été mouvementé en cette fin d’automne et j’étais heureuse. A chaque frontière franchie, mon cœur battait, j’allais à « sa » rencontre.

    Il m’accueillerait dans ses maisons, je découvrirais son terrain de jeu, je mettrais mes pas dans les siens en flânant dans les rues de la vieille ville mais aussi de l’autre côté de la rivière.

    Pour ne pas l’importuner, j’avais pris une chambre dans un hôtel vanté pour son charme désuet. Un billet m’attendait à l’accueil.
    «  Je suis retenu, une affaire urgente à régler, ma liberté en dépend… Je te demande un peu de patience ».

    Dans quel pétrin son caractère bouillant et ses rires explosifs l’avaient-ils fourré ?

    Je passai ma première nuit à ruminer. Je n’avais aucun moyen pour le joindre. Le lendemain, je pris un petit déjeuner avec viennoiseries et chocolat chaud. Divin !

    Je m’emmitouflai et partis à la découverte de la ville, de ses trésors et de ses secrets. Je voulais voir tout ce qu’il avait si bien décrit dans ses missives et ce fut presque un pèlerinage !

    Le soir venu, un soleil pâle éclairait encore la fière citadelle lorsque j’arrivai sur une place qui me glaça par sa géométrie anguleuse. Je frissonnai en sentant une ombre s’abattre sur moi.
    Je levai les yeux. Il était là. Sur son socle.
    Je ne comprenais pas. Pourquoi s’était-il juché sur ce cube de marbre ? Était-ce encore une de ces facéties ?
    Je ne comprenais plus rien. Lui, d’une nature si lumineuse, avait le visage plongé dans l’ombre.
    Je regardai autour de moi, il n’y avait personne. Je pris une profonde respiration et m’écriai :
    – Cesse te prendre ces grands airs ! Descends de là…
    – Nooooon….
    – Es-tu inquiet ? Ton ombre t’aurait-elle plaqué ? Il me semble que son heure ne soit pas encore venue…

    Il eut un rire triste, puis il murmura :
    – Je serai toujours avec toi…
    – Merci, lui répondis-je en lui envoyant un baiser du bout des doigts.

    La tête baissée et les yeux embués, je repartis vers mon hôtel. Dans les rues de la vieille ville, les réverbères s’allumaient et donnaient une nouvelle vie aux enseignes de fer forgé.
    Je fis un dernier détour par le Dom Saint Rupert.
    Je tombai en arrêt.
    Il était là, à peine éclairé.
    Figé dans son manteau, le visage absent.
    Son ombre l’avait-elle plaqué pour le rendre aussi effrayant ?

    Je m’approchai de la plaque de cuivre où étaient gravé en lettres noires.

    IL COMMANDATORE.

    Je sentis un souffle dans mon cou , la main de Mozart effleura mon épaule.
    Je crus entendre :
    «  Chacun a sa part d’ombre…elle a pour nom « Manteau de la Conscience »

    © Clémence

  22. Suzon dit :

    Mais aujourd’hui tout est plat tout est lisse
    L’homme regarde à ses pieds
    et dans un cri de désespoir
    Qu’a donc été ma vie
    pour ne laisser aucune trace ?

  23. iris79 dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète.
    Son ombre l’aurait-elle plaqué ?
    Habituellement, elle s’éclipse le soir
    puis revient au grand matin.
    Mais…
    Aujourd’hui, rien.

    Aucun rayon de l’aube ne vint s’immiscer par la lucarne qui habituellement lui apportait son faisceau de lumière projetant son ombre sur le sol.
    Aujourd’hui personne ne piétinerait l’extension de lui-même aux grandes heures de visites où l’on aimait s’extasier sur sa personne, sa force inerte, sa robustesse immobile.

    Il aimait pourtant trôner ainsi, au centre de cet édifice qui faisait de son ombre la plus imposante. Elle cueillait les touristes dès les premières marches qu’il fallait gravir pour arriver à ses pieds. Il les contemplait à son tour de son profil qu’il offrait aux gens.

    Que se passait-il ? Il ne sentait plus la chaleur de la journée lui réchauffer la joue droite qu’il ne pouvait tourner pour vérifier l’origine de ce méfait. La pénombre de la pièce condamnait son ombre. Il en était fort contrarié. Qu’est-ce que cela pouvait-il bien signifier ?

    Il entendit des pas mêlés à une conversation d’hommes qu’il ne distinguait que de l’œil gauche sans pouvoir les identifier. Son statut ne lui permettait pas d’en savoir davantage.
    Mais bientôt apparut dans son champ de vision des outils dont le souvenir très lointain le ramena à son arrivée ici. Qu’allait-il faire ?

    Le déplacer !

    Commença alors l’opération délicate du descellement de la plaque sur laquelle il trônait sur son piédestal depuis bien longtemps. On le fit pivoter avec d’infimes précautions lui offrant par la même une vision panoramique du lieu, ce qu’il vécut, malgré toute cette agitation, comme un cadeau. Il vit ainsi que toutes les entrées du bâtiment, portes et fenêtres, avaient été condamnées ce qui expliquait l’absence de son ombre. Il vit aussi que certains de ces voisins d’infortune n’étaient déjà plus là.
    On le transporta à l’extérieur où la lumière crue du jour l’aveugla. Lui dont le regard fixait habituellement le sol car telle était sa posture voulue par son créateur, était à présent tourné vers le soleil. On le conduisit au cœur du jardin magnifique qui cernait ce bâtiment qu’il quittait. On le réinstalla avec d’infimes précautions au centre d’un massif de buis finement taillé au raffinement indéniable.
    Plusieurs rosiers bordaient ce massif et il ne put s’empêcher de penser que désormais sa nouvelle ombre viendrait apporter un peu de fraîcheur à ces fleurs qui ne manqueraient pas de le mettre, lui, en valeur.

  24. durand dit :

    Prostré sur son piédestal, un homme de bronze s’inquiète. Son ombre l’aurait-elle plaqué ?

    Habituellement, elle s’éclipsait le soir puis revenait au grand matin.

    Mais ce jour là, surprise, affolement, elle avait carrément disparu.

    Pourtant, depuis des années, il avait tout fait pour l’étendre. Et ca avait marché. A peine besoin de bouger le bout du petit doigt, et l’ombre s’étalait autour de lui, de plus en plus. Elle gagnait chaque matin du terrain, bouffait de cette soi-disante lueur solaire, ce spot ridicule, enseigne pauvrement lumineuse pour peuple consommateur.

    Tout un chacun admirait la statue, s’y recueillait, profitait de la protection de la pénombre instaurée, le couvre-feu perpétuel pour se protéger des égarements radieux.

    Mais ce matin là, quelque chose du mystère boiteux s’était définitivement estompé.

    L’homme de bronze ne pouvait que constater l’échec de sa suprême volonté. Il ne pouvait même pas descendre de son socle pour clamer sa désapprobation. Il était tout entier moulé dans un bronze qui ne coule pas. Bientôt un chien se permettrait de lui pisser dessus.

    Mais, malgré tout, raide dans sa posture, Kim Jong Un souriait au relais de son fils.

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