402e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat

Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille. Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et s’accusent mutuellement.

Inventez la suite

[Combat_contre_la-routine][/Combat_contre_la-routine]

20 réponses

  1. françoise dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille.
Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et pour tous c’est presque une question de vie ou de mort : en effet ,quand le chef comptable comptera, comme chaque soir, le nombre de feuilles restantes de la ramette, il ne pourra pas ne pas se rendre compte qu’il en manque une.C’est un homme colérique et les employés de la comptabilité qui travaillent sous ses ordres redoutent à juste titre ses emportements autant, si ce n’est plus, que le crayon et la gomme. C’est pourquoi chacune de ses semblables essaya de lui faire entendre raison mais comme aurait dit Bataille, à quelque chose près, « prise de folie d’émancipation, capable de prendre position par elle-même, fut-ce pour faire un choix « impossible » elle se mit en boule et s’envola par la fenêtre ouverte du bureau .
    Le chef comptable qui avait assisté à la scène essaya de la rattraper mais soumis aux lois de la pesanteur il tomba de tout son fort poids sur la chaussée.
    Les premières à se réjouir furent les ramettes de papier A4.

  2. Jean-Pierre dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille,celle que l’auteur avait voulu écrire pour le 398ème défi littéraire de Pascal Perrat. Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus.
    Et pour cause, il y a longtemps que celle-ci s’était planquée sous le tas de paperasses, car elle trouvait que l’auteur en faisait un usage abusif: Un auteur, son boulot, c’est d’écrire, pas d’effacer.

    « Mais qu’est-ce que j’ai foutu de la feuille où j’avais commencé à écrire pour le 398ème défi ? », peste celui-ci en fouillant dans le merdier qui recouvrait son bureau.
    Depuis, il la cherche partout et accuse (à tort ou à raison) sa femme d’avoir dérangé ses affaires.

    Celle-ci est vexée.
    — Tu ne sais pas chercher, mon ami. J’ai l’habitude du désordre, mais au moins je m’y retrouve, moi !
    — Pas dans le tien ! Tu passes ton temps à te plaindre de ne jamais retrouver tes affaires et d’accuser les autres d’avoir fait n’importe quoi avec !

    Les actions valant mieux qu’une réponse blessante, elle brasse un peu le fatras accumulé sur le bureau, et en extrait une feuille blanche où était écrit : « circulez, », puis, d’un grand geste du bras, balaye le contenu du bureau qui atterrit sur le sol.
    — A mon avis, fait-elle, c’est la virgule qui bloque tout. Il ne te reste plus qu’à la gommer pour que l’inspiration revienne. Je te prépare un bon café.
    — Que ferais-je sans toi ma chérie ? Dit l’auteur en l’embrassant.

    Toutefois, il fallait commencer par retrouver la gomme qui avait bondi sous un meuble à l’autre bout de la pièce.

  3. isabelle Pierret dit :

    La feuille volante

    Elle s’est glissée entre 2 feuilles comme une couleuvre, la feuille.
    Le crayon n’a rien vu, la feuille non plus.
    Depuis ils la cherchent partout et s’accusent mutuellement.
    Chapitre 7 fulmine contre chapitre 4 car Flavio dépeint jusqu’alors comme riche prince des Asturies, se retrouve alors en prison, pris en flag d’exhibitionnisme : ce n’est pas crédible !
    Serait-ce chapitre 1 qui se venge de n’être que prémices à l’histoire ? il n’aime jamais cette place, chapitre 1, car il doit rester sur la réserve… peut-être s’est-il approprié une feuille plus croustillante ?
    Les uns après les autres recomptent les pages … visiblement l’auteur s’est emmêlé les crayons… plusieurs pages portent un numéro identique…Manque-t-il vraiment une feuille entre la page 246 et la page 249 ? Il faudrait tout reprendre à zéro….
    – Il me semble que je suis incomplet, se lamente Chapitre 9 .
    Tout comptes-faits, il se trouve sans grand intérêt, avec une écriture un peu molle et quelques lieux-communs.
    – Rectifie dès maintenant lui lance malicieusement Chapitre 8, tu verras, après une bonne nuit, tu sauras s’il manque ou non une feuille.
    Stratégiquement placé dans le cours du roman, Chapitre 8 détient une clef, et se garde bien de la révéler. Il taquine à loisir ses voisins…
    – Que fait le crayon, demande la page 402 ?
    – Il poursuit et rebondit, nargue la gomme, effaçant des mots, de-ci…. de là…
    – Peu lui importe, ajoute-t-elle, ce qui lui est essentiel, c’est d’écrire..
    – Mais que dira l’auteur, chigne la page 44, si tout cela n’a aucun sens ? il faut retrouver la feuille errante, celle qui embrouille l’histoire !
    – Pas forcément, miaule cette dernière.. pas forcément !
    Demandez-donc au lecteur d’en être le héros !
    – Que veux-tu dire ? s’embrasent tous les chapitres, c’est la REVOLUTION !!!!!
    – Non, non, c’est un jeu amusant de lecture… constatez que je vous perturbe , de ma place cachée !
    Alors, proposez au lecteur des rebondissements à sa main avec des renvois subséquents, et vous existerez dans 3 ou 4 histoires en un seul roman selon le choix des lecteurs.
    Après concertation, les chapitre ébauchent alors plusieurs fins possibles. C’était amusant, certains se vengeaient de personnages qu’ils jalousaient, d’autres imaginaient de nouvelles péripéties..jusqu’à ce que s’imposent de nouveaux chapitres et une pagination à choix multiple.
    Mais qu’elle serait la réaction de l’auteur ? partagerait-il cette envie ? accepterait-il la dictature des chapitres ?
    Soudain, un grand coup de vent eut raison de cette interrogation. Le battant de la fenêtre claqua, le manuscrit s’envola ….. Toutes les feuilles s’embrassèrent à qui-mieux-mieux ! Un festival de rebondissements !
    L’auteur, son thé à la main, découvrit le désastre : se relire de A à Z, soit de la page 1 à la page 487, en passant par des ellipses surprises, au gré des choix qu’il ferait ! quelle révolution !

  4. Clémence dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille. Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et s’accusent mutuellement.

    La plage s’était vidée de tous les touristes.
    Alignés comme des harengs en caque, ils avaient bronzé et cuit sur toutes les faces. Et maintenant, en hordes râleuses, ils allaient rejoindre leurs pénates en limaçant sur les autoroutes saturées. Il leur restait onze mois et demi à vivre en attendant la prochaine fournée.

    Dans son appartement, Léa sirotait son café en regardant la mer.
    – Je vais aller me baigner, dit-elle distraitement en baissant les yeux vers Jules, son chat.
    Il cligna de ses yeux dorés. Au même instant, un léger rictus déforma les lèvres de Jim, son mari.

    Léa était prête. Paréo noué sur sa nuque, serviette de bain roulée dans son sac de paille. Elle se tourna vers Jim et lui dit :
    – Je suppose que tu ne viens pas avec…
    – Non, tu sais bien que….
    – Je sais ! Tu as encore à faire, tu en profiteras pour…comme toujours !
    La main sur la poignée de la porte, elle hésita un instant puis se dirigea vers la table basse. Elle s’empara de son roman et le glissa dans son sac.
    – Le temps de me sécher, juste quelques pages….dit-elle en claquant la porte.

    D’une démarche souple, elle dévala les escaliers puis se dirigea vers le petit chemin qui descendait à la plage. Elle retrouva avec plaisir « sa » place. Elle déroula sa serviette, fit une boule de son paréo, le glissa dans le panier et mit l’ensemble sous la serviette.
    A pas lents, elle quitta le sable, plongea dans les eaux turquoises et nagea.
    Elle entendit les cloches du campanile. L’heure était venue de sortir de l’eau.

    Léa se coucha sur le dos, sa main glissa dans le sac et s’empara du roman. Reprendre la lecture où elle s’était arrêtée hier soir. Elle avait beau tourner les pages en éventail, elle ne retrouvait pas le signet. Elle s’assit et recommença. Le signet avait disparu.
    Elle décida de lire au hasard des pages.
    C’est alors qu’elle le vit. Ou plutôt, qu’elle la vit. Juste au bon endroit
    Une feuille de papier à cigarette.
    Couverte de rangées de lettres, accolées les unes aux autres en un message incompréhensible. Elle était sur le point de la déchiqueter en confetti lorsqu’elle repéra trois mots: « Trouver le code. » et trois points placés sous le T, le L et le C.
    Sur les deux pages sous ses yeux, elle chercha les trois mots. Elle trouva des « le » à profusion, mais ne repéra ni « code » ni « trouver ». Vu le nombre de pages de son roman, c’était une tâche titanesque de chercher des indices aussi ténus. Nerveusement, elle rassembla ses affaires et remonta chez elle.

    Jim était sur la terrasse. Il la regarda et lui demanda avec un léger sourire :
    – C’était bien ?
    – Comme d’habitude, répondit-elle, le regard fuyant.
    – Rien de spécial ?
    – Non. Rien à signaler. Si, une mise en garde ! Enfin, je crois…

    Toute la journée, les yeux de Léa furent à la recherche d’un éventuel code. La feuille avait fait son œuvre en se coulant entre les pages du roman et dans la tête de Léa. Elle avait déjà avalé pas mal de couleuvres avec Jim, mais cette fois, cela prenait une autre tournure. Elle en était convaincue. C’était lui le fautif mais il voulait lui faire porter le chapeau.
    Elle ouvrit son ordinateur et lança une recherche avec le mot « code ».
    Tout en regardant les titres défiler, elle tortillait une mèche de cheveux puis s’écria :
    – Mais c’est sûr ! C’est vieux comme le monde ! Il suffit de repérer toutes les lettres marquées d’un point. Bien ! Encore faut-il trouver le document de référence !

    Léa reprit son livre, tourna les pages mais ne décela rien. Pas le moindre point. Elle se dirigea vers la table basse. La gomme et le crayon qu’elle utilisait pour solutionner ses sudoku avaient disparu.
    – Jim, la gomme, c’est toi ?
    – Hein ?
    – Est-ce toi qui as pris ma gomme et mon crayon ?
    – Et pourquoi moi ? Cela ne t’arrive jamais de … , hein ? C’est comme tes clés, ton alliance…
    – Stop, j’ai compris, gronda Léa.
    Et puis, les heures s’écoulèrent sans le moindre incident.

    Le lendemain matin, la journée commença de manière identique à la précédente.
    Sac, serviette, livre, plage.
    Fébrilement, Léa tourna toutes les pages, à la recherche de mots pointés qui la mettraient sur une piste, mais elle ne trouva rien. Elle grimaça et tira la langue.
    Elle sentit un regard se poser sur elle. Elle leva les yeux. Il n’y avait personne, mais au loin, elle vit Jim sur leur terrasse, smartphone collé à l’oreille. Il lui fit un léger signe de la main.
    – C’est lui, j’en suis sûre. Encore un de ses coups tordus pour me …

    Léa haussa les épaules puis sourit à l’idée géniale qui venait de surgir. Il voulait jouer ? Alors, on allait jouer! La partie venait d’être engagée.

    De retour à l’appartement, Léa fila dans sa chambre et fouilla dans son tiroir à trésors. Elle trouva enfin le petit paquet protégé par un cellophane intact.
    – Prépare-toi, Jim, la suite sera démentielle, pensa-t-elle en passant sa langue sur ses lèvres.

    Léa joua à la perfection son rôle d’épouse exemplaire mais le pimenta d’intrigues et excentricités.
    Elle souriait ou soupirait exagérément ou en lisant ses textos, elle forçait son maquillage, optait pour des tenues plus légères et s’enfonçait des écouteurs dans les oreilles. Elle prenait aussi un plaisir sensuel à écrire des messages érotiques sur des feuilles de papier à cigarette puis à les lire à voix haute devant un Jim interloqué.
    – Oh, Jim ! Tu ne m’avais jamais courtisée ainsi, lui murmurait-elle d’une voix rauque.

    Jim se dit qu’il avait déjà avalé des couleuvres avec Léa, mais de pareilles à celle-là, encore jamais ! Même avec un crayon et une gomme à portée de main, jamais il n’aurait osé écrire de tels propos. Ni même les dire !

    Un soir, alors qu’elle avait vidé une bouteille de champagne, il explosa :
    – Arrête, Léa, tu pousses le bouchon trop loin !
    – Qui de-de nous deux de-devrait s’arrêter, hein ? Qui, qui de nous deux ? hurla-t-elle.
    Jim en eut le souffle coupé.
    Il ferma les yeux. Respira profondément et lui dit d’une voix neutre :

    – Léa, j’en ai assez de tes délires, de tes manigances et de ta jalousie maladive. Je te quitte. Pas pour une autre. Je te quitte.
    Gomme, crayon et feuilles peuvent mutuellement s’accuser et ne rien trouver. Mais moi, entre tes paroles, entre tes faits et tes gestes, je n’ai trouvé qu’une seule chose. Ta jalousie.
    Je te quitte, Léa.
    Je te quitte pour vivre enfin.

    © Clémence.

  5. Michel-Denis ROBERT dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre,la feuille. Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis ils la cherchent partout et s’accusent mutuellement.

    – Elle n’avait pas envie d’en foutre une rame, ce matin, c’est dimanche, dit la gomme.
    – Tu sais bien qu’on rime tous les jours, elle apprécie mon écriture, répondit le crayon. Comment a-t-elle pu s’envoler à notre insu ?
    – Elle a peut-être été séduite par un roman et jouer les marques-page ! Il y a parfois des personnages attirants voire louches dans les romans, répondit l’élastique latex.
    – Qu’est-ce que tu veux dire ? Je te rappelle qu’elle était vierge.
    – Justement, elle a peut-être été témoin d’une scène de crime.
    – Quel rapport avec sa virginité ? Non, elle a peut-être voulu faire une approche de la littérature et elle s’est aperçue qu’elle avait fait une boulette. Trop tard pour revenir en arrière ! elle est peut-être prise en otage.
    – Et par qui ? tu en viens à la même conclusion que moi. Tu t’emmêles le crayon, dit la gomme héroïque.
    – Par qui ? Je ne sais pas moi, dit la mine déconfite.
    – Par un qui signe ses crimes ou qui envoie des lettres anonymes, continua la gomme.
    – Si c’est ça, on devrait trouver dans la presse. Regarde sur internet et cherche à feuille et crimes.
    – Je sais ce que j’ai à faire, n’inverse pas les rôles, je te rappelle que c’est moi qui te corrige, dit la gomme excédée.
    – En parlant de correction, tu ferais mieux de surveiller ta tenue, le latex, ça fait mauvais genre. Il s’agit de la retrouver et pas de faire ta mijaurée. Sans elle, tu sais qu’on n’a pas de boulot, dit calmement le crayon.
    – Elle a peut-être été kidnappée par un portefeuille de ministre, dit-elle dans un sursaut de se rattraper.
    – Un ministre qui envoie des lettres anonymes ! C’est ça ! Arrête de te faire des films, dit le crayon qui esquissa une hypothèse. Je pencherai plus vers un billet doux.
    – Elle ! romantique ! Ce n’est pas son genre !
    – Qu’est-ce que tu connais de son genre ? Tu as vu le tien !
    – Je te préviens, si je mets la gomme, je te dégomme, dit la gomme.
    – Chiche ! dit la mine qui ne craignait d’être défaite.
    Sans prévenir, c’est lui qui mit toute la gomme pour l’embrocher. Mais par un coup de patin, latex rapide anticipa. C’est elle qui lui vola dans les plumes. Un combat brouillon s’engagea sur le bureau.
    – Hep, hep, hep ! dit la feuille. Je vous demande de vous arrêter !
    Les deux challengers s’arrêtèrent net.
    – Ou étais-tu passée ? dirent -ils consternés.
    La petite feuille ménagea sa chute.
    – J’ai été promue feuille de route, je m’en vais.

  6. AB dit :

    Un livre était ouvert, là sur le bureau. Lui, tenait quelques feuilles dans sa main. Il venait de recopier les noms qui y étaient inscrits et il ne lui restait qu’une feuille à finir d’inscrire quand une voix stridente et sans appel lui intima l’ordre de le suivre. Il se leva, ses bottes claquèrent en un bruit sec et violent dans un salut militaire, le Général du Camp le hélait.
    Il posa vite les feuilles dans le livre et si maladroitement qu’une feuille s’envola du petit tas pour atterrir par terre sous le bureau. L’officier SS décontenancé et contrarié de sa maladresse et afin de ne pas déplaire à son gradé, l’a ramassa prestement comme un papier sans importance et la classa au fond du livre où elle s’y glissa telle une couleuvre se glisse sous la pierre pour se coller au milieu de pages vierges. Il la reprendrait plus tard et dans un clac sec, il referma le livre pour l’emporter. Ils en avaient besoin. Demain il s’occuperait de cela.

    – Folge mir (Suivez-moi).
    Le ton n’admettait aucune réplique et il le suivit. Il ne saura jamais qu’en cet instant grâce à cette maladresse il retournait sans le vouloir le destin de nombreuses femmes.
    Une aube grise sortait ses griffes et le froid qui se collait à leurs peaux à peine couvertes meurtrissait plus leurs âmes que leurs corps de même que leurs pyjamas rayés reflétaient les barbelés du désespoir et de la mort prochaine dans les yeux de tous.
    Les Kapos les avaient fait mettre en dix rangées de vingt, toutes des femmes, des mères, des fiancées, des grands-mères dont les bras avaient un jour donné de l’amour. Elles attendaient en claquant des dents que leur nom ne soit pas échangé pour la mort.
    Semblables à une marchandise avariée, ils hurlaient et, à chaque nom hurlé du livre, les têtes se baissaient un peu plus, comme si la honte avait changé de responsable.
    Plus que des femmes, elles étaient des fantômes dont l’ossature si fragile tutoyait la mort. Seuls les regards restaient vivants bien qu’il eut suffi d’un souffle sur elles pour les fermer à jamais.
    On entendait des noms mais pas, Héliett X, Lisa X, Abygail X, Marie X, Jeanny X, Hanina X, Jessyca X, Lybbie X, et les noms continuaient mais pas les leurs, les femmes de la baraque 50. Le vent tel une râpe mortelle s’engouffrait à travers le tissu des pyjamas et les membres tremblaient de plus en plus. Les rangées s’amenuisaient, mais les femmes de la baraque 50 restaient. Résignées plus que haineuses, elles s’accrochaient les unes aux autres quand une voix stridente se mit à hurler :
    – Stoppen ( arrêt).
    Elles se regardèrent, orbites prêtes à l’expulsion dans l’instant, l’espoir se signait dans un fragment d’interrogation. Elles n’y croyaient pas. Le long fil de souffrance qu’elles formaient s’en retournait dans son antre de douleurs avec le peu de vie qui les animait et qui aujourd’hui vibrait plus que jamais, elles pensaient ce jour, le dernier.
    Ce qu’elles ne surent que bien plus tard lors d’ archives, qu’elles ne devaient leur vie qu’à une feuille remplie de leurs noms qui s’était glissée entre deux feuilles loin des autres dans le livre de la mort et que la maladresse d’un SS, fait d’un hasard miséricordieux avait permis de les épargner. Le crayon noir usé d’avoir trop servi à contrôler et rayer les noms n’avait rien vu lui non plus ainsi que la gomme qui sécherait jusqu’à l’éternité, ni l’un ni l’autre n’avait fait leur rôle de bourreau sur cette feuille et ils pourraient s’accuser mutuellement, rien n’y changerait, dans cette liste qui s’était égarée ce jour qui était la veille du 27 janvier 1945 (Libération du camp d’Auschwitz).

  7. isa mantel dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille.
    Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et parcourent tout azimut les lignes d’écriture. A califourchon sur les majuscules, glissant entre les virgules rebondissant sur les points de suspension, la gomme et le crayon tentent le tout pour le tout pour attraper l’intrus. Ils arpentent les mots prenant soin de rien griffonner , de rien enlever au texte si précieux de l’auteur. Quand tout à coup dans une complicité totale ils arrêtent leur course en équilibre sur un point d’exclamation.
    – Dis la gomme tu vois ce que je vois ?
    – Fais pas cette mine ! renchérit la complice qui aimait jouer avec les mots !
    Un vide vertigineux s’ouvrent à eux sous le point d’exclamation .
    La gomme et le crayon savent ce que cela veux dire … Le manuscrit est à son apogée. Il est achevé !
    L’auteur a fini de mettre à nu son inspiration. De dégueuler à toute allure des mots à l’aide de la mine de son crayon de bois. De raturer. De changer. De gommer les lettres jusqu’à obtenir le mot juste. Il a fini de s’élancer tel un trapéziste agile dans une envolée d’écriture se laissant balancer par le fil de ses pensées. Fini de saisir en toute légèreté les invitations de proses, de poésies, pour voltiger entre les lignes magnifiques de la littérature de son imagination.
    Après l’esthétisme de la phase écriture il va passer à la phase « plastique ». Celle où il abandonnera dans un geste sans attention, son crayon de bois et sa gomme pour cliqueter du clavier et recopier dans une calligraphie informatique grossière le fruit de son manuscrit. Il n’y aura plus de poubelle débordante. Plus de rature. Plus de froissage. Plus de gommage. Plus de tâche de café. Plus de trace de crayon de bois. Plus de ces petits indices complices qui dévoilent par leur présence les longs moments d’hésitation . Plus de petits dessins. Plus de grafouillage. Plus de petit rien qui laisse entrevoir combien de fois l’esprit est parti divaguer vers un ailleurs pour échapper et mieux revenir à la rigueur de l’essentiel.
    Il n’y aura que du net. Bien propre au sens  » figuré » bien sûr ! Juste une série de caractères policés et peu polisson , soulignés ou non de formes plus ou moins grasses , dénués de rondeur et ayant en plus ….un penchant ..pour la droite . Des espaces occupés bien alignés, bien rangés, bien calibrés. C’est donc cela le progrès!!!
    Alors juchés sur leur point d’exclamation, la gomme et le crayon profitent de ses instants privilégiés ou ils se sentent encore de la partie, encore aimés en faisant mine de crayon de bois sous les rondeurs des lettres manuscrites que rien ne viendra les dégommer !

  8. Blanche Ziba dit :

    Saperlipopette !

    T’es où ? La feuille

    Mais où t’es bon sang d’bois ?

    Où c’est’y Qu’t’es ?

    Comme disent les normands de la Normandie profonde

    Où c’est-y qu’t’es passée di’don’

    Elle, elle détestait devoir chercher quelque chose
    Cela la rendait carrément dingue
    Tout ce temps perdu à chercher un truc
    Un bidule
    Un smag

    Smag c’est un super mot inventé par Jacqueline Taieb jadis alors que nous étions élèves au Lycée Victor Duruy à Paris
    C’est elle qui a créé la chanson 7 heures du mat! Les 2 puls, le rouge et le bleu , lequel mettre ? Dilemme d’ado…de bon matin
    Donc elle disait smag pour remplacer tous les mots qu’elle avait sur le bout de sa langue et qui refusaient de sortir de sa bouche

    Smag !

    Une super bonne copine qui fabriquait cool
    sa p’tite chanson entre 2 cours ennuyeux, à la récré…

    Bon , la feuille qui se prend pour une couleuvre
    Une cool œuvre
    Un ego plus gros que la Trump Tower de
    Donald …

    Elle souleva 3 livres qui déjà tombaient l’un sur l’autre
    Déjà’ la pagaille se dit-elle

    Tidiane l’avait surnommée la reine de l’équilibre à cause des empilements qu’elle fabriquait pour tout ranger en 3D, en utilisant l’espace en hauteur, ce vide entre les choses et le plafond

    Le MEST quoi !

    Le Mest intraduisible en bon Français

    Toutes les choses de l’extérieur
    Tout de qui n’est pas en nous
    Au chaud
    Sécurisé
    Toujours là…
    Disponible

    Mais c’est un autre thème
    Celui de la sérénité

    Là, aujourd’hui faut localiser
    coûte que coûte
    LA feuille

    Oh et puis zut alors !

    Elle en prit une autre et de mémoire réussit à réécrire ce qu’elle avait déjà’ « pondu » sur la feuille vagabonde

    L’éternité de l’instant
    L’éternité dans l’instant
    L’instant de l’Eternité

    Et tout ce qui suivait sur la magie du temps présent

    Ici et maintenant

    Here and now boys !
    = Ici et maintenant les garçons
    Phrase que criaient à tout bout de champ les oiseaux d’Aldous Huxley afin de rapatrier les âmes dans le présent

    La gomme et le crayon furent émus
    L’éternité ça leur parlait bien !

    Bon Dimanche à toutes et à tous

    Et aussi :::
    Bon voyage à Patrick E. vers le Canada pour y écrire son livre …

    Blanche Ziba

  9. Ophélie E. dit :

    Comme une couleuvre, la faute impardonnable s’était glissée entre deux feuilles. Le crayon ne se souvenait plus où elle se trouvait, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchaient partout et s’accusaient mutuellement.

    – Moi, j’obéis à ses doigts, ce n’est pas moi qui réfléchis, s’indignait le crayon. Je ne suis qu’un simple outil de travail. Et toi, tu étais fourrée où ? J’ai bien vu qu’elle te cherchait partout quand elle a voulu effacer son paragraphe.

    – Qu’est-ce que j’y peux, moi ! s’exclama la gomme. J’avais filé sous le dictionnaire et j’ai bien senti qu’elle tâtonnait chaque recoin de son bureau, mais comme je ne sais pas crier, elle ne m’a pas retrouvée.

    – C’est embêtant, admit le crayon. Les humains se demandent si les objets inanimés ont une âme, mais imagine un peu la cacophonie si nous nous mettions tous à discuter à haute voix.

    – Ouais, ce serait insupportable, s’amusa la gomme. Elle a cessé de me chercher quand elle a été interrompue par le téléphone et ensuite elle n’a pas eu le temps de se remettre à son roman. Si seulement nous pouvions lui dire où se trouve sa monumentale bévue. Moi, je ne sais pas où elle se trouve ; et toi tu n’aurais pas une petite idée pour la diriger ?

    – Ben, moi je n’en sais pas plus que toi, s’énerva le crayon. Il faut dire que son roman ressemble à un napperon en dentelle au point d’Alençon avec toutes ces ratures, ces notes en marge, en diagonale ou entre deux lignes, ces flèches qui partent dans tous les sens, ces phrases entourées, ces renvois sur d’autres pages. Quel n’a pas été mon étonnement lorsqu’elle m’a fait courir sur les lignes à en perdre haleine. Mais quelle idée a-t-elle eu d’inventer ce personnage qui ressemble comme deux gouttes d’eau à sa sœur ?

    – Et si sa frangine tombe là-dessus avec sa manie de lire en douce, nous allons assister à un tel crêpage de chignon qu’elles seront obligées de porter une perruque pendant des semaines.

    Durant ce conciliabule la romancière, assise à son bureau, s’escrimait à retrouver la page qu’elle avait rédigée la veille sur son cahier de brouillon. Elle le feuilletait page après page en le tournant dans tous les sens. Le stress l’envahissait « si jamais elle tombe là-dessus, je suis mal », se disait-elle. En temps ordinaire elle appréciait que sa sœur, sa seule lectrice, lise sa prose. Stoïquement elle endurait ses critiques et se mordait la langue pour ne pas lui dire que, si elle était si maligne, elle n’avait qu’à en faire autant.

    Enfin, elle retrouva le passage compromettant et, s’emparant de sa gomme, se mit à l’effacer frénétiquement quand la porte s’ouvrit à la volée.

    – Qu’est-ce que tu fais ? demanda sa sœur.

    – Oh rien ! bafouilla l’écrivaine en proie à une vive émotion. Je gommais juste un truc qui ne me plaisait pas.

    – Dommage, j’aurais bien aimé le lire, soupira la critiqueuse.

  10. DUCORNETZ Claude dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille.
    Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et la gomme n’en peux plus d’effacer toutes les traces noires que le crayon dépose avec sa pointe de nez graphitée sur tout ce qu’il touche.
    Elle se sent sale, la pauvre gomme, sale et lasse. Car le crayon ne peut voir une feuille blanche sans y poser sa mine, ses pattes de mouches, comme disent les feutres, ses ennemis intimes. Et il s’active, s’active, d’une page à l’autre, sous le fallacieux prétexte de chercher la feuille disparue. Il aurait tant voulu être le crayon d’un écrivain et pas celui d’un herboriste amateur. Le vieux stylo-plume se gausse : « Il se prend pour le crayon de d’Ormeson, celui-là ».
    La gomme le suit, comme d’habitude, pour corriger ses bêtises, les marques de son passage, de ses outrages. On dirait que la blancheur du papier le fascine, pense la gomme, ou bien l’obsède, comme un penseur en mal de pensée, comme un scribouilleur penché sur sa page blanche.
    La gomme ne peut suivre le rythme effréné du crayon. Elle prend de plus en plus de retard. C’est qu’elle les caresses, elle, ses feuilles vierges, elle les cajole, elle les effleure à peine pour ne pas risquer de les abimer. Elle fait son gommage avec conscience et délicatesse. Elle le sait parfaitement que ses efforts seront vains, qu’il restera toujours une trace, même infime, de son passage, aussi léger soit-il.
    Le crayon de plomb exulte. Sa quête n’est qu’un prétexte, un alibi, pour se faufiler d’une feuille l’autre, pour y laisser, là, un trait de rien, ici, un gribouillis minuscule et arrondi, une ponctuation imaginaire placée au hasard du rectangle de papier A4. La dimension qu’il préfère, pas trop grande, comme celle du A3, où il s’épuise, devient gras avant même le bout de la ligne. Le A5 trop petit, ne lui laisse pas le temps de prendre du plaisir.
    Il n’est pas dupe, le crayon, il sait combien la gomme va s’acharner à détruire ses « œuvres » avec zèle et obstination. La gomme, cette inconsciente, qui s’épuisera dans ce labeur, au point de rapetisser au fil du temps et même de disparaître.
    C’est la valse des feuilles, qui se désunissent, qui se déliassent pour offrir leur virginale blancheur aux cinquante nuances de gris minimalistes du séducteur à la mine de plomb !
    « Mais, c’est qu’elles y prennent du plaisir, en plus » maugrée la pudibonde gomme, prompte à effacer tout ce qui n’est pas correct, les fautes d’orthographe comme le reste.
    Toute à son ouvrage, elle oublie la mystérieuse feuille couleuvre, l’objet de leur recherche, à cause de ce maudit crayon qui n’en fait qu’à sa bonne mine.
    « Celle-là, explique Marc à son amie Eva, je l’ai ramassée dans une allée du parc Montceau l’année dernière à l’automne ». Il écarte alors délicatement les deux pages blanches qui protègent son trophée : une feuille jaune et légèrement orange d’un tulipier de Virginie !!

  11. Odile Zeller dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles. Le crayon et la gomme la cherchent partout et s’accusent mutuellement :
    – C’est vrai ? C’est toi…
    – toujours ma faute hein ! Regarde toi même, là dans la corbeille entre la déclaration d’impôts et le journal publicitaire. Elle a mauvaise mine, toute barbouillée.
    – Tu as raison. Oui elle fait la grimace, ce serait pas toi…
    – Non c’est pas moi, change de rengaine. Ce n’est pas moi et fais moins de bruit.
    – Bon, on la laisse. Elle a beau crié.
    – Là où elle est, la sauver ne servirait à rien.
    – Je sais bien. Mais de l’entendre pleurer et gémir, ça me glace la mine … je croyais que tu l’avais poussé. Comme c’est ma copine …
    – Mais non tu m’accuses toujours. Je l’ai entendu aussi, crier au secours quand elle m’a vu. Même si on la sort de là, ça servira à rien. Elle a une version électronique et donc ce sera la déchiqueteuse. Ou dans deux jours la poubelle.
    – Alors on fait quoi ?
    – Rien on ne peut plus sauver toutes les feuilles esseulées. Lui, il fait des tris et jette en masse. Alors on risque notre peau à faire les malins. On va pas se faire remarquer, on affiche profil bas. Un crayon et une gomme c’est vieux jeu et dans un tri encore plus complet on finit tous les deux à la poubelle. Et après c’est la déchèterie. On la laisse pleurer et gémir… désolé.

  12. Mamireille dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille.
    Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et… bien qu’ils aient une petite idée sur la question, ils ne comprennent pas vraiment pourquoi cette ingrate les fuit.
    – Eh oui ! Elle nous fuit, c’est indéniable ! Que veux-tu, nous ne sommes pas faits du même bois grinçait la gomme issue de quelque exotique gommier arabique.
    Corseté dans son étui de cèdre et ne pouvant le faire sur la feuille, le graphite crissait intérieurement. Où cache-t-elle son teint de papier mâché ? Où traîne-t-elle sa cellulose cette métisse fugueuse ? pestait-il. Et plus il pestait, plus ça chatouillait son végétal tuteur.
    – Oui, je sais qu’elle n’est pas de pure souche comme nous, tu le lui as suffisamment fait remarquer en la couvrant de lapsus calami. Mais quelle importance, hein ? Quelle Importance puisque la gomme les effaçait aussitôt ! Tu as bonne mine maintenant !
    – Ah – ah – ah… Très drôle ! Tu peux te gausser et tenter de te défausser, mais si la gomme ne s’était pas acharnée sur ses fibres…
    – Oh la, oh la ! Je n’ai fait que mon travail en rattrapant vos erreurs dit la gomme. Que mon travail. Consciencieusement. Et si ses fibres ont cédé, c’est qu’elle n’était pas du bois dont on fait les belles choses comme nous. Un point, c’est tout ! Elle ferait mieux de s’orienter vers un atelier de pliage. Cocotte, ça lui irait bien !
    – On peut dire que tu n’as pas la langue de bois toi ! Mais vois-tu, je l’aime bien moi, notre feuille de brouillon A4 en 80 grammes. Et quand elle reviendra, elle ou ses frères et soeurs, tu pourras toujours trépigner, moi, je ne lui ferai pas de misères. Je ne me taillerai pas dit le crayon. Et il en fut ainsi… jusqu’à ce que la peau soyeuse d’une feuille de vélin vienne réveiller sa sève créatrice. Mais ça, c’est une autre histoire !

  13. Souris verte dit :

    🐀🍂 LES EFFEUILLÉES.
    Dans le cahier aux feuilles reliées, Mémaine et Léontine, encore vierges se serraient l’une contre l’autre pour défendre leur vertu… jusqu’au jour ou, une feuille ornée d’une tête vint s’insinuer entre les deux inséparables.
    L’une l’avait de face donc, l’autre l’avait dans le dos!
    Les deux copines, Mémaine et Léontine, tout d’abord interloquées se cherchèrent puis, tout le monde s’y est mis même la gomme et le crayon. Puis, le temps passant, la tête imprimée sur le feuillet indésirable se fit câline, enjôleuse posant la joue de son profil sur le teint de lys de la page immaculée .. Mémaine aima ça, ne résista pas, se laissa frôler et sourit dans un pli.
    Léontine évincée se fâcha
    Ce fut le début d’une lutte sans merci.
    Dans le plumier, le crayon s’agita sentant l’ouverture : si l’une est prise il reste l’autre…
    Se voyant bonne mine poussa son avantage et doucement enfonça sa pointe dans le velin…
    – Aïe ! mais il est fou celui-là ! Voilà pas qu’il me pique s’écria Léontine en rage.
    Ulcérée elle se mit en boule pour protéger sa vertu…
    Le mal était fait.
    La gomme, discrète amie à l’autre bout du crayon essaya de panser l’irrémédiable blessure… La caressa, la rassura…
    -Allez, dans quelque temps, tu n’y penseras plus.
    De son côté, son forfait accompli… le crayon retourna se coucher sereinement dans son plumier.

    La feuille au profil de Marianne cessa ses cajoleries et vénale, partit avec un chèque alourdi de zéros remplir, pour les impôts, les bourses du Trésor Public.
    N’est-ce pas ce qu’on appelle joindre l’utile à l’agréable ???🐀💌

  14. LABROSSE dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille.
    Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et forcément personne n’a opposé de résistance, c’était pourtant prévisible !
    Au commencement, il y avait des mots, des lettres, un temps d’attente
    On attendait le messager, le cœur s’emballait à l’approche du coursier
    La petite boite qui contenait la missive, l’ordonnance, l’espoir
    Chacun y allait de ses couleurs, de ses humeurs, de ses clameurs
    L’écriture était belle, fine, ciselée dans le vélin
    Un honneur pour la feuille, une note de bonheur pour le cœur
    On pouvait toucher, sentir, tordre, déchirer, caresser …
    Des siècles que cela durait … les mots crayonnés comme des caresses sur le papier
    Et puis parfois un frottement sur la feuille, une légère blessure, pour effacer, pour recommencer
    La feuille se moquait, quelques frissons désuets, l’important était imprimé, gravé dans la fibre du papier
    Il se pouvait que l’empire des mots, la ferveur de l’auteur en accouche d’un manuscrit
    Alors la feuille devenait incontournable
    Que l’on arrache une seule de ses sœurs et l’ouvrage perdait son intérêt
    Et puis sans prévenir, on relégua la belle à des seconds rôles, des bassesses inavouables
    Elle était la plupart du temps écartelée entre deux lames saillantes
    Une fente qui l’aspirait vers le bas, lui jetant l’encre à la gueule
    Comme des taches de sang
    Elle se débattait, hurlait ! Les bêtes automatisées étaient sourdes
    Les caresses d’encre et de graphite étaient devenues des jets de peinture,
    Un remugle de couleurs emplis de morve et de bave
    Alors évidemment elle préféra s’enfuir,
    Un léger courant d’air, le glissement furtif d’une couleuvre
    Adieu ma jolie feuille …

  15. iris79 dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille. Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et s’accusent mutuellement.

    Il faut dire qu’elle se montrait assez réfractaire cette feuille, elle avait eu du mal à accepter que la main de cet auteur y promène ce crayon. Par un mouvement subtil, elle l’empêchait d’évoluer à sa guise et le faisait se heurter aux aspérités du papier. Même la gomme avait du mal sur cette feuille là. Impossible d’effacer totalement les vilaines traces et les ratures, les dérapages du crayon. De guerre lasse, l’auteur l’avait déchirée et remisé sans y prendre garde dans le dernier quart du cahier…Coincée là à étouffer, c’est sûr, elle n’y resterait pas. Quand le cahier fut bientôt achevé, l’auteur se souvint de cette feuille égarée ,abîmée.
    Maintenant sa mine chiffonnée de la feuille était secondaire, l’auteur n’avait plus rien sur quoi écrire, il fallait qu’il la retrouve, les mots se chevauchaient, la gomme n’en pouvait plus d’effacer encore et encore pour faire loger sur une page des histoires qui débordaient. C’est l’autre feuille qu’il lui fallait ! La dernière qu’il lui restait ! Mais où pouvait-elle bien être ? Le crayon allait exploser de contenir tous ces maux qui patientaient dans la mine !

    « -Alors la gomme, tu la vois, ?
    -Bien sûr que non, le crayon ! Je ne te quitte pas d’une semelle comment veux-tu que je la trouve !
    -Et bien débrouille toi pour tomber des mains de cet auteur brouillon qui travaille comme un cochon ! C’est ni fait ni à faire ! Non mais regarde moi cette organisation ! Quand on veut écrire un roman, on anticipe, on ne se met pas à gratter un vulgaire petit cahier ! On investit dans un pavé ou un ordi !
    -Et où crois-tu que la feuille soit partie ?
    -Je n’en sais rien, mais on peut dire qu’elle s’en tire bien!
    Elle a dû sentir qu’elle resterait coincée ici un moment et a dû se faire la malle avant de se faire griffonner, blesser peut-être même chiffonner.
    -Attend voir, l’auteur va bien finir par nous poser. Attendons que l’appel du ventre se fasse sentir, on pourra à ce moment là partir.
    Cela ne m’étonnerait pas qu’elle se soit glissée dans l’herbier de madame, posé tout près d’ici sur la petite table. Après tout, elle aurait bien raison, mieux vaut embrasser de doux parfums que d’être agressé par des crayons !
    -Et bien je te remercie ! Ce n’est tout de même pas ma vocation !
    -Toi, certes non ! Mais la main qui nous tient est animé d’une trop grande passion ! »

  16. Grumpy dit :

    Ils la cherchent partout la précieuse feuille, et ils sont nombreux, toute la famille s’y est mise.

    Pensez, Tonton Christobal, le tonton d’Amérique ….. il est revenu !

    Et d’Amérique il est revenu mourir ici, oh, pas pour la famille, elle et lui s’ignorent depuis belle lurette. Plutôt pour cause de Sécurité Sociale, parce que là-bas, l’Obama Care a le mérite d’exister mais pour les remboursements ce n’est pas bien ça. On a beau avoir les moyens, que l’on soit né riche ou pauvre, un sou reste un sou même s’il est bien connu que, l’heure venue, le coffre-fort ne suit pas le corbillard.

    Fratrie, neveux & nièces, cousins & cousines, ne se sont jamais souciés de ce qu’il devenait là-bas, s’il y était heureux, s’il y avait réussi sa vie, mais qu’il y avait prospéré et de quelle manière, ça ils sont au courant : L’un d’eux avait été délégué en « vacances » chez le Tonton, bien plus pour lui tâter le train de vie que le pouls ou le moral.

    L’envoyé était revenu de sa mission avec de bonnes nouvelles : Tonton, devenu propriétaire d’une chaîne de grands magasins, était cousu d’or. Aussi, lorsqu’il leur annonce sa maladie et son désir de mourir au plus près de ses origines, tous envoient à ‘Oncle Picsou’ les plus chaleureux encouragements au retour. Et lui réservent le plus confortable et le plus hypocrite des accueils.

    A la clinique la famille se succède, se dispute sur le calendrier des visites, fait du zèle : douceurs, revues, bouquets. Pas dupe, il les voit venir avec leurs pupilles brillantes de dollars et de lingots. Pas un qui au bout d’un quart d’heure n’affiche l’ennui sur sa figure d’enterrement jetant des coups d’oeil furtifs à sa montre.

    Visite après visite, il essaie de faire le tri, de retenir celui qui lui aura paru le moins impatient, le plus sincère. Il prend au creux de son livre de chevet la feuille testament, il y a laissé un blanc sur lequel il n’écrit qu’au crayon le nom de celui qu’il désignera comme légataire universel. Il le gomme presque chaque jour pour en inscrire un nouveau. Triste constat : pas un pour rattraper l’autre …

    Voilà Filoména qui vient pour sa toilette. Toujours gaie son aide-soignante oiseau des îles. Elle s’esclaffe quand elle apprend qu’il s’appelle Christobal. Tout en rondeurs devant comme derrière, elle chantonne en refaisant son lit, elle bouge son cul en rythme sans même s’en apercevoir.

    Elle le rafraîchit d’eau de Cologne, et lui dit en lui posant le bisou rituel sur le front : « à demain ! ».

    Elle ne sait pas qu’elle lui a donné ses derniers émois.

    Il l’arrête et lui tend son livre :

    – Filoména mon petit trésor, tenez, prenez-en bien soin, ne le confiez à personne, vous le lirez demain car je ne serai plus.

  17. Liliane dit :

    La feuille avait disparu.
    Le crayon n’a rien vu.
    La gomme non plus.

    Depuis, ils la cherchent partout.
    Et s’accusent mutuellement.
    Leur dispute dura peu.
    Le temps d’un battement de cœur.

    Leur complicité les accorda.
    Objectif : la retrouver.
    Réfléchir. Agir.
    Se souvenir :

    Sur la feuille blanche, Inès a croqué le passé.
    Aux couleurs de la douleur.
    Huit années molles et lourdes.
    La violence de l’absence.

    Il est parti une nuit de ténèbres.
    Sans un mot. Sans un cri.
    Sa main lovée dans celles d’Inès.

    Cette main, qui a écrit tant de poèmes.
    Cette main, qui a su tant caresser.
    Peindre et pianoter.

    Abandonnant la feuille sur le bureau.
    Inès est partie précipitamment.
    Un courant d’air a envahi l’espace
    Le temps d’un claquement de porte !

    La feuille ne s’est pas glissée entre deux feuilles comme une couleuvre.

    Elle a été emportée par le vent.
    Déposée dans le jardin,
    Le bois ou le lac ?

    Plus personne ne la cherche.
    La feuille a disparu.
    Inès s’est envolée.
    Et avec elle,

    Les signes douloureux du passé.

  18. Camomille dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, comme une couleuvre, la feuille. Le crayon n’a rien vu, la gomme non plus. Depuis, ils la cherchent partout et s’accusent mutuellement.
    l’auteur est inquiet, très inquiet.
    La panique le gagne,
    la retrouver,
    vite…. vite
    il halète,
    le crayon voltige, inefficace
    il est ridicule
    la gomme se sent honteuse et inutile
    elle se ratatine
    l’atmosphère est lourde
    le drame est latent
    tous se sentent responsables
    ils n’ont rien vu
    elle les a bluffés
    elle les a trahis
    elle elle elle
    elle s’est incrustée et bloque tout.
    elle les nargue :
    « allez…venez me chercher !
    Je vous fais peur ?
    Ha ha ha !
    faites un effort voyons
    faites un effort »

    l’auteur la supplie :

    « feuille blanche mon tyran,
    Mon amour si désespérant,
    feuille blanche mon néant,
    qu’il est dur d’être ton amant »
    (Pierre Perret)

    L’histoire ne nous dit pas s’ils l’ont retrouvée, s’ils l’ont séduite et si elle s’est laissée faire…..

  19. jean marc durand dit :

    Elle s’est glissée entre deux feuilles, elle y était bien pour rêver, pour dormir. C’était sa routine avant l’endormissement. Elle lisait deux pages, jamais plus, jamais moins. Parfois, elle soulignait du crayon un mot bijou, une phrase collier. Le lendemain, souvent, elle le gommait car la journée avait été lourde et longue et la force des mots rétrécie. Elle aurait voulu, comme lui, lutter contre « l’inexorable exil d’une langue murée en redites et brigandages ». Mais non, pour faire face à la charge, elle piochait le bonheur dans le prêt à porter des formules. Tout lui paraissait magnifique, grandiose, somptueux, rien que pour supporter les clous du laid, du moche, du repoussant.

    Parfois, quand les feuilles étaient douces, elle les relisaient sans cesse, ne terminait jamais le livre. Elle entassait les volumes entamés, jamais clos, toujours entrouverts sur un espoir de voyage, une petite crique transparente au fond du poumon, un sentier de contrebande dessiné par le circuit du cœur, des bouffées d’île déserte, la juste possibilité de faire le tour de soi.

    Mais les piles montaient, montaient, bouchaient les horizons de sa chambre. Depuis le temps, elle s’était vue obligée d’ôter ses feuilles préférées et de jeter les restes. Les plus belles, elles les rassemblait dans sa taie d’oreiller qui gonflait, qui gonflait. Elle y nichait ses rêves. Parfois, ça lui boursouflait le sommeil.

    Elle envisageait sérieusement de se dégoter un ami, lecteur de belles feuilles, pour la pêche à la ligne et autres activités de survie, sans étiquette, sans compétition. Rien que pour faire la planche à la vie, plus que surnager, simplement flotter, flotter et encore flotter…jusqu’à l’embouchure.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Répondez à ce calcul pour prouver que vous n'êtes pas un robot *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.