Exercice inédit d’écriture créative 108

imgres-1– Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
 – Vous vous fichez de moi ?
 – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une petite fuite d’eau au niveau de la toiture,
puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
 – Je vois, je vois… avez-vous entendu le parquet gémir ?
 –  Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre notre maison en vente.

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10 réponses

  1. Clémence dit :

    – Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
     – Vous vous fichez de moi ?
     – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une petite fuite d’eau au niveau de la toiture, puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
     – Je vois, je vois… avez-vous entendu le parquet gémir ?
     –  Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre notre maison en vente.

    Le docteur, qui était apprécié et estimé de toute la population de la bourgade, sourit sous cape.
    – Enfin, se disait-il, enfin, elle contre-attaque et elle a bien choisit ses armes ! Bravo, ma Grande ! Bravo, ma Belle ! Je n’aurais même pas imaginé cette stratégie.

    La Grande était une majestueuse bastide. Entourée de champs de vignes, d’oliviers et de figuiers, elle ouvrait ses portes et fenêtre vers le Géant de Provence, le Mont Ventoux.
    La Belle, pour ses proportions harmonieuses, ses tuiles roses, son crépis ocre doux et ses persiennes vert amande.

    Grande et Belle lorsqu’elle réunissait la famille autour de tables drapées de blanc, dressées sous un platane millénaire.
    Grande et Belle pour son architecture intérieure provençale : grandes pièces dépouillées d’artifices dont une salle voûtée, feu ouvert, mobilier sobre en châtaignier, tomettes de Salernes doucement patinées.

    En fait, Grande et Belle du temps des ses anciens propriétaires. Le cœur lourd, ils avaient dû se résigner à quitter la Provence pour rejoindre Paris.
    De nouveaux acquéreurs . Ils avaient su se montrer persuasifs en termes énamourés pour la Provence, les demeures de caractère à protéger. Ils avaient tant et tant péroré que les vendeurs avaient même revu le prix de vente à la baisse, heureux de transmettre cet héritage à des gens qui l’aimeraient et l’entretiendraient avec passion et respect.

    Le printemps, l’été et l’automne furent les trois plus beaux mois pour la demeure.
    Madame n’avait de cesse de vanter à la famille, aux amis et aux connaissances les splendeurs de leur nouvelle acquisition.
    Monsieur fit de même de son côté, famille, collègues, copains…
    Le rosé coulait à flots jusque tard dans la nuit. Les soirées se succédaient, inlassablement. Tantôt sous le platane, tantôt autour de la piscine à motifs en mosaïque.

    L’hiver venu, le refrain se modifia : froid, ennui, solitude, isolement prirent une place prépondérante dans les conversations.
    La chambre principale se transforma en suite dite « parentale ». Une nouvelle chambre fut occupée par le berceau du fils aîné, une deuxième, puis une troisième avec la venue successive de deux filles.
    Les dix premières années furent douces à la bastide. Jeux et courses dans le couloir de l’étage, rires et fous-rires, chansons et chansonnettes, premières confidences, premiers émois, premières amourettes, premiers chagrins inconsolables…

    Lorsque l’adolescence pointa son nez sur les joues et les fronts du trio, l’ambiance se dégrada.
    La techno et le hard rock secouèrent les murs et les réveillèrent même en sursaut pendant la nuit. Une odeur étrange enfumait les chambres le week-end lorsque des copains débarquaient.
    Les disputes entre les sœurs prirent des allures de tsunami tandis que celles entre frères et sœurs exposaient en éruptions volcanologiques.
    Les portes se tordaient sous le choc des claquements intempestifs. Les fenêtres gémissaient d’être défoncées à coups de pieds rageurs. Les cloisons et le mobilier n’en pouvaient plus d’entendre les disputes entre les parents qui envisageaient de se séparer. Ils n’en pouvaient plus des disputes à cinq voix où tout un chacun éructait , à se vriller les cordes vocales, des menaces vitriolées et des reproches sanglants.

    Un soir de décembre, la bastide se secoua et d’un commun accord, toutes les parties décidèrent ,à l’unisson, d’une stratégie de protection rapprochée.
    – Moi, dit la toiture, je vais déverser insidieusement larmes et déluges en invitant mes tuiles à danser un tango langoureux…
    – Moi, dit la robinetterie, avec mes confrères et consœurs, nous nous infiltrerons, tels des serpents, dans les dressings, dans les placards et, de préférence, dans les endroits inaccessibles. Et ceux-ci sont nombreux ! Je me souviens de ce que me racontaient mes aïeux, les Vert De Cuivre…
    – Moi, dit le parquet, assisté du mobilier du rez-de-chaussé et de l’étage, nous geindrons, de nuit comme de jour, en un moderato cantabile laborieux…
    Parfait, parfait, dit la bastide. Nous sommes au point !

    La danse se fit diabolique, les habitants frénétiques…
    Un déluge d’eaux et de mots, de gémissements, de craquements et de hurlements.
    Les habitants décidèrent de vendre.

    La bastide n’en pouvait plus de pleurer de rire !

  2. Sabine dit :

    Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une petite fuite d’eau au niveau de la toiture, puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
    – Je vois, je vois… avez-vous entendu le parquet gémir ?
    – Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre notre maison en vente.
    – Le phénomène prend-il de l’ampleur ?
    -Ho oui, docteur. Au moment même où je vous parle, le feu dans la cheminée s’éteint en gémissant de douleur à cause de l’eau qui s’écoule du conduit.
    -Et comment se portent vos murs ?
    -Mal, docteur. Ils sont infestés de rhumatisme à cause de l’humidité.
    -Quand sont apparus les premiers symptômes ?
    – Il y a huit jours, quand j’ai rangé le grenier.
    -Y avait-il des signes particuliers dans ce grenier ?
    -Non docteur. Si ce n’est que le grenier était rempli de tableaux dont je ne connaissais pas même l’existence.
    – Et ces tableaux, que représentent-ils ?
    – La mer, docteur. Uniquement la mer.
    -Le diagnostique est élémentaire ! Vous avez dû percer un des tableaux et depuis, l’eau s’en échappe. Trouvez ce tableau et mettez lui un pansement, cela fera l’affaire !
    ©Margine

  3. Peggy dit :

    – Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une petite fuite d’eau au niveau de la toiture, puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
    – Je vois, je vois… avez-vous entendu le parquet gémir?
    – Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre notre maison en vente.
    – Je vois…
    – Docteur, je dois vous dire que votre première réaction : « Vous vous fichez de moi »m’a étonné. Nous vous avions appelé pour un enfant malade et à cette occasion, vous nous aviez expliqué que vous pouviez aussi soigner les maisons suite à un master obtenu aux Etats Unis en « House Therapy ». C’est bien cela ?
    – Tout à fait. Cependant mes neurones ont besoin de quelques secondes pour décoder pour quelle sorte de consultation on me téléphone.
    Donc, suite à tous les symptômes décrits, je peux vous assurer que votre maison ne supporte pas que vous la quittiez. Elle est en train de développer une grosse dépression.
    – Ah bon. Et alors ? Que devons nous faire ?
    – C’est complexe
    – Complexe ou pas complexe il faut que vous la soigniez. On ne peut pas continuer comme ça, nous allons bientôt être obligés de nous déplacer en barque
    – Je comprends parfaitement, mais soit il lui faut une longue psychothérapie soit vous restez.
    – C’est impossible, elle est devenue trop petite pour tous nous loger, nous n’avons pas le choix.
    – Je suis vraiment désolé, mais dans mon cursus il n’y avait pas la Psychiatrie de la Maison. Je ne peux pas vous aider
    – Vous vous fichez de nous ?
    – Pas du tout.
    – Mais c’est non assistance à personnes en danger
    – Alors, essayez de joindre le Professeur Dudoudingue, c’est le seul médecin en Europe qui a une formation en « House Psychiatry ». Il habite à Moscou. Je peux vous donner ses coordonnées.
    – Mais vous plaisantez, cela va nous coûter une fortune.
    – C’est ça ou bien vous ne la quittez pas.

    Le propriétaire de la maison raccroche le combiné en vissant son index sur la tempe : « Moscou et quoi encore ? ». Il se tourne vers son épouse.
    – Chérie, on va essayer de se débrouiller tout seuls, le médecin dit qu’elle fait une déprime.
    Nous allons commencer par la consoler, lui dire que nous l’aimons de tout notre cœur mais qu’elle se rend bien compte que nous sommes les uns sur les autres. Avec la meilleure volonté, ce n’est plus possible. Nous la quittons contraints et forcés. Nous allons aussi lui dire que nous la remercions de nous avoir donné autant de bonheur et que nous ne choisirons qu’une famille digne d’elle.

    Après quelques jours de cette thérapie, la maison ne guérit pas. Elle pleure, elle pleure, elle ne cesse de pleurer.

    Jaillit enfin une idée lumineuse dans l’esprit du propriétaire.

    – Maison, petite maison chérie, j’ai vu un architecte, nous ne te quittons plus, nous allons t’agrandir !

    Et tout rentra dans l’ordre.

  4. Françoise -Gare du Nord dit :

    – Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une
    petite fuite d’eau au niveau de la toiture et …
    – La toiture ? Consultez plutôt le spécialiste du cuir chevelu de la clinique d’en face, je ne suis que généraliste
    – Et puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter et …
    – Je vois, je vois… avez-vous entendu des bruits d’écoulement dans les tuyaux?
    – Oui, oui et même …
    – Alors, je vais vous adresser à l’un de mes confrères angiologue, le meilleur spécialiste en France des artères et des vaisseaux. Pour le lavabo, prenez rendez-vous avec le dentiste de notre centre médical
    – Mais la cave est en train d’être inondée et…
    – Hou là, c’est plutôt du ressort d’un gynécologue. J’en connais un très bien, à deux rues d’ici
    – Les vitres dégoulinent en permanence et les leurs extérieurs suintent…
    – Décidément ! Vous n’avez pas de chance ! Pour les vitres, le seul spécialiste compétent est un ophtalmologue. Quant aux murs, un dermatologue fera l’affaire
    – Ne serait-ce pas un problème de fuites urinaires ?
    – Posez la question à un néphrologue !
    – Notre maison est très vieille et …
    – Interrogez un gérontologue !
    – Nous pensions que tous ces maux pouvaient signifier un chagrin ou un traumatisme et que …
    – Voyez ce qu’un cardiologue pourra faire ou peut-être même un neurologue
    – Nous avions envisagé la possibilité que notre maison somatisait certainement et …
    – Alors, dans ce cas consultez un psy !
    – Un psy ?
    – Oui, un psychiatre, un psychanalyste, un psychologue, un psychothérapeute. Je ne sais pas moi, je ne suis que généraliste. Vous avez le choix !
    – Un psy ! Il n’en est pas question ! Les mêmes charlatans que dans le bâtiment !

  5. Smoreau dit :

    – Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une petite fuite d’eau au niveau de la toiture,
    puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
    – Je vois, je vois… avez-vous entendu le parquet gémir ?
    – Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre notre maison en vente.
    Il fallait se faire à cette idée. Notre maison tenait à nous. Elle souffrait de nous voir partir. Notre demeure qui nous abritait depuis 20 ans, nous réchauffait, protégeait, manifestait à sa façon sa peine.
    Le lendemain, les fondations se secouèrent pendant 2 longues minutes. Chaque jour, j’en fis le tour avec amour pour la consoler, lui expliquer. On ne pouvait l’emmener avec nous. Elle aurait d’autres hôtes sympathiques, j’y veillerai personnellement. Je lui caressai les murs. Fis un feu, en plein été, pour lui réchauffer le coeur. Le feu couinait, gémissait. Les flammes venaient me lécher les mains pour m’influencer.
    Ce fut le bouquet quand un couple de visiteurs entra. Là, ELLE ouvrit toutes ses fenêtres en déclenchant un courant d’air épouvantable, faisant claquer les portes. ELLE traficota avec sa tuyauterie et répandit une odeur nauséabonde. Les visiteurs s’enfuirent. Contrariée, je la grondai. Comment allait-t-on faire ? La faire visiter quand ELLE dort ? Mais dort-elle ?
    Le docteur ne pouvait rien faire. Trop grande, trop forte pour lui.
    Et si, on lui laissait un souvenir comme un doudou ?
    La chatte de la voisine avait eu une portée. Je récupéré un chaton.
    Le petit fit le tour du propriétaire. La maison, d’abord méfiante, le prit dans ses murs avec douceur.
    On laissa passer quelques semaines pour que l’affection mutuelle soit forte.
    Et on passa une nouvelle annonce : « Vend maison, bon caractère avec chaton solide sur ses 4 pieds »

  6. Sylvie dit :

    Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une petite fuite d’eau au niveau de la toiture, puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
    – Je vois, je vois… avez-vous entendu le parquet gémir ?
    – Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre notre maison en vente.
    – D’accord, avez-vous remarqué autre chose d’inhabituel ?
    – De grosses gouttes noirâtres tombent dans le foyer de la cheminée la nuit, les volets des chambres des enfants ne veulent plus s’ouvrir et j’ai l’impression que, de part et d’autre de l’allée qui mène à la maison, le buis se resserre comme pour nous empêcher de sortir…
    – Hm…, ça a l’air assez sérieux et ça dépasse mes compétences de généraliste. C’est l’âme de votre maison qui est touchée. Je vais vous envoyer un spécialiste, un grand spécialiste. Je dois voir demain, justement, le professeur Domosalviacelli, éminent domo-traumatologue vénitien, spécialisé dans les pathologies des vieilles demeures. Je vais lui en toucher deux mots et lui demander de passer vous voir. Je vous tiens au courant.
    – Oh, merci, Docteur, c’est très gentil. Vous savez combien nous tenons à cette maison !
    – Hm…, grommela le docteur après avoir raccroché. S’il y tenait tant que çà, il ne chercherait pas à la vendre… pour en tirer un bon petit pécule et aller se la couler douce au soleil, je suppose…. Comme tous les autres…
    Quelques jours plus tard, le Docteur appelle les propriétaires de la maison malade pour leur annoncer la visite du professeur Domosalviacelli l’après-midi même.
    Le professeur, petit vieillard frêle, vêtu d’un costume de lin beige, parcourt lentement chaque pièce de la maison, appuyé sur sa cane. Il touche délicatement les murs, respire profondément l’air des pièces en faisant vibrer sa longue et fine moustache à la Salvador Dali. Il reste un long moment seul à l’intérieur de la maison, puis dans le jardin. Il avait prévenu, il voulait voir la maison seul, les propriétaires étaient donc partis pour une petite heure. Les voilà qui reviennent. Le professeur est installé sur la terrasse, le regard fixé sur les volets des chambres qui refusent de s’ouvrir.
    – Alors, Professeur, quel est votre diagnostic ? demande précipitamment la femme.
    – Chère Madame, répond calmement le professeur, asseyez-vous, je vous prie. Vous aussi, Monsieur. J’ai longuement examiné votre maison. Je crois que vous avez tout simplement oublié que votre maison avait une âme, une sensibilité, une histoire, des souvenirs mais aussi des angoisses, tout comme vous, comme chacun d’entre nous. Depuis un an, elle vous entend, vous Madame, rabâcher à votre mari, chaque soir avant de vous endormir, que vous en avez assez de l’entretien de cette maison, que vous auriez moins de soucis en appartement, sur la Côte d’Azur, comme tous vos amis, que le climat froid et humide d’ici ne vous convient plus, etc., etc. Figurez-vous que votre maison en a gros sur la façade. Elle a entendu votre conversation, Madame, avec l’agent immobilier, et elle se sent abandonnée. Souvenez-vous, il y a 25 ans, elle vous a vu arriver, jeunes mariés, pleins d’entrain et de projets. Depuis, elle vous a toujours abrités, protégés. Elle a supporté vos idées les plus folles : une serre tropicale, collé au mur de derrière, qui l’étouffait, un Père-Noël accroché à la cheminée, qui lui démangeait les tuiles, sans parler des ballons de basket qui lui tapaient dans les côtes. Et les innombrables soirées bien arrosées avec vos amis, pas toujours corrects avec elle d’ailleurs ! Certes, vous l’avez choyée et bien soignée. Vous lui avez rajouté un étage bien chaud, tout en bois, quand vos enfants sont arrivés. Elle a vu les petits naître, grandir et partir, et leur départ fut un traumatisme pour elle comme pour vous. A votre avis, pourquoi les volets des chambres des enfants, justement, restent-ils fermés ? Elle a partagé les plus beaux moments de votre vie. Elle connaît tous vos secrets, vos joies et vos peines.
    – Mais… mais… comment savez-vous tout cela, Professeur ? demanda le mari interloqué.
    – Il suffit de savoir écouter aux murs…, répond le vieil homme en souriant.
    – Que faut-il faire ? demanda la femme. Comment répare-t-on une maison qui se sent abandonnée ?
    – Il faut lui parler, la rassurer, évoquer vos souvenirs, lui donner des nouvelles des enfants, lui dire et lui redire combien elle a compté pour vous, dit le Professeur. Si vous voulez partir, sachez le lui annoncer avec douceur, c’est une vieille dame qu’il faut ménager. Et surtout, surtout, ne l’abandonnez pas aux mains d’un agent immobilier complètement insensible, qui vend des maisons sans une once de délicatesse. Et de grâce, ne mettez pas un de ces horribles panneaux « A vendre », rectangulaires et austères. Les maisons qui les portent font vraiment peine à voir. Faites plutôt vous-même un panneau avec un message spécial pour votre maison ! Et attendez. L’attente peut être longue, mais attendez que votre maison choisisse elle-même son nouvel occupant.

    Les propriétaires de la maison remercient le professeur, bien décidés à suivre ses conseils.

    Quelques semaines plus tard, une fillette filant en trottinette dans la rue, s’arrête brusquement devant le portillon et lit sur une pancarte bleu ciel : « Regarde-moi, et tu sauras si nous sommes faits l’un pour l’autre. »
    La fillette lève les yeux : à l’étage, une paire de vieux volets verts s’entrouvre lentement, esquissant comme un sourire. Puis un petit grincement se fait entendre, le portillon s’ouvre tout seul, et quand la fillette, sans hésiter, avance dans l’allée, les buis s’écartent, et la trottinette fonce jusqu’à la porte.

  7. Halima BELGHITI dit :

    – Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une petite fuite d’eau au niveau de la toiture,
    puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
    – Je vois, je vois… avez-vous entendu le parquet gémir ?
    – Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre notre maison en vente.
    – Ça falt longtemps que l’idée de la vendre vous trotte dans la tête ?
    – Quelques mois déjà, nous en parlions, mais tout s’est précisé cette semaine. C’est grave docteur ?
    – Ne vous inquiétez pas, votre maison n’est pas malade et ne nécessite aucun traitement médicamenteux
    – Alors pourquoi pleure-t-elle ?
    – Elle est émue !
    – Emue ?
    – Oui, oui, elle pleure d’émotion. Vous pensez ! Après 25 ans passés sous son toit…et vous la quittez…alors elle ne peut retenir ses larmes, elle tient à vous montrer qu’elle tient à vous, qu’elle n’ est pas insensible à votre départ…
    – Ah ? En y réfléchissant bien, c’est vrai qu’elle a été le cadre des grands évènements de la famille. La naissance des enfants, le mariage de mon ainée, les anniversaires, les retours de vacances, le décès de ma belle-mère…tout !
    – Vous vous rendez compte ? Tous ses souvenirs sont inscrits sur ses murs, ses sols, ses revêtements….
    – Que pouvons-nous faire, docteur ?
    – Lui manifester la même affection que celle qu’elle vous manifeste
    – Mais comment ?
    – Déjà en effectuant tous les travaux dont elle a besoin pour la requinquer. Refaire la tuyauterie si nécessaire, la toiture, enfin tout ce qui a besoin d’être rénové.
    – Mais nous souhaitons la vendre !
    – Justement, vous en tirerez un meilleur prix, s’il n’y a pas de travaux à prévoir…et puis ce serait un signe d’amour envers elle.
    – Autre chose ?
    – Prenez des photos de votre famille, dans chaque pièce, montrez-lui que vous l’emportez avec vous, du moins en mémoire, là où vous irez. Evoquez, tous ensemble, les bons moments que vous avez passé en son sein
    – Merci docteur
    – Une dernière chose : sélectionnez-bien les prochains propriétaires. Veuillez bien à ce qu’il y mettent autant de vie et d’animation que vous sinon plus…
    – Pourquoi ?
    – Parce que dans le cas contraire, elle va vous regretter pendant longtemps, elle risque de nous faire une dépression…
    – D’accord docteur, nous ferons ce que vous dites, j’ai bien fait de vous appeler. Merci encore
    – Mais je vous en prie. Je suis votre médecin de famille, non ? Je suis là pour soigner tous les bobos de la maisonnée…

    © Halima BELGHITI

  8. Jean de marque dit :

    La Fuite.

    – Allo! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure!
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure.Ca a commencé par une petite fuite au niveau de la toiture, puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
    – Je vois, je vois…avez vous entendu le parquet gémir ?
    – Pas moi, mais mon épouse, quand elle a téléphoné à l’agence pour mettre la maison en vente.

    Le docteur Clément tripota sa moustache.
    – Ah oui…d’accord…c’est classique pour ce type de maison!
    – Comment cela?
    – Vous savez bien…une si vieille bâtisse!
    – Comment ça…vieille ?
    – Ecoutez…Monsieur Durieux…ne le prenez pas mal. Je suis votre médecin de famille depuis plus de dix ans. Lorsque vous avez souhaité emménager, je vous ai alerté…quand même!
    – Oui, peut être ?
    – Vous n’avez pas l’air convaincu!

    A l’étage, la fêlure du pied de la baignoire s’aggrandissait. La faïence se fendit et l’eau chaude trouva le chemin de sa pente.

    – Pourtant, Docteur, j’ai fait l’essentiel des réparations préconisées.
    – Peut être Monsieur Durieux…mais était ce suffisant ? Une maison ayant connu pour le moins dix générations d’humains mérite beaucoup d’attention. La pauvre…elle n’en peut plus de voir défiler de nouveaux propriétaires…elle craque.

    Mr Durieux aurait voulu tortiller le fil du téléphone. Il cherchait une contenance. Malheureusement, l’appareil ne possédait pas de cordon. C’était un portable et Monsieur Durieux s’agaçait des portables. Il n’aimait pas qu’on le sonne.

    – Alors…Docteur…que me conseillez vous ?
    – Ecoutez…je viens de consulter son dossier. La cure recommandée depuis trois ans n’a jamais été réalisée. Pourtant, je vous l’avais clairement précisé. Un changement d’air doublé de soins appropriés aurait été nécessaire…

    Monsieur Durieux fixait une large strie grisâtre, face à lui. Elle partait du plafond, longeait un instant une solive, plongeait dans le plâtre, soulevait la plinthe. Il regardait des bulles perler au bord du carrelage. Tous les départs étaient ils humides ?

    … de plus les cartilages des poutres étaient usés. Je vous avais encouragé à agir. Une petite intervention aurait été la moindre des choses et vous aurait évité les désagréments actuels.

    – Et alors ?

    – Alors…pour moi…dans l’état actuel de la bâtisse, ce que je connais d’elle, vu le dossier et l’évolution prévisible de sa dégradation, je ne peux que vous conseiller une et une seule option. La quitter le plus rapidement possible…à moins que vous ne souhaitiez couler avec le navire… ?

    – D’accord…Docteur…entendu…merci pour votre écoute…et pour vos conseils…je vous tiens au courant!

    Monsieur Durieux appuya sur le bouton rouge. Il écouta le silence, puis une goutte, tombée sur sa chaussure. Levant la tête, il contempla la large tâche vert d’algue s’étalant au plafond. La suspension pendait encore plus. Il y vit comme une méduse…qui le menaçait.

    Il grimpa l’escalier, pénétra dans leur chambre.

    – Chérie, c’est décidé, nous quittons de suite la maison!
    – Ah bon…l’agence a déjà trouvé un acquéreur ?
    – Ma chérie, là n’est pas…ou plutôt…là n’est plus la question.
    – Bien, d’accord…c’est toi qui décides…je m’attaque aux valises.

    Depuis le temps, elle s’était habituée aux lubies de son époux, à ses coups de coeurs soudains, à cette passion pour les architectures urbaines.

    Venise, quand même, c’était risqué!

  9. isabelle hosten dit :

    Allô ! Docteur ? Venez vite, notre maison pleure !
    – Vous vous fichez de moi ?
    – Pas du tout Docteur, je vous assure qu’elle pleure. Ça a commencé par une
    petite fuite d’eau au niveau de la toiture, puis le robinet de la salle d’eau s’est mis à goutter.
    – Je vois, je vois… avez-vous entendu des chuintements au niveau de la cheminée ?
    – Hmm..maintenant que vous le dites, en effet, le conduit émet des « pffft « bizarres depuis quelques jours. Nous pensions que c’était le vent…
    – Bon, je vais vous demander de sortir et d’aller voir au pied des murs extérieurs. Regardez si vous trouvez des dépôts verdâtres…
    – Ne quittez pas…je reviens …
    Berthe pose le combiné et s’empresse d’aller inspecter les soubassements. Elle chausse ses demi lunes, constate le désastre, remonte ses jupes et court vers le téléphone, affolée :
    – Oui oui oui c’est bien ça, il y en a partout Docteur !!!
    – C’est bien ce que je pensais…
    – Et alors c’est grave ?
    – Trois fois rien, une rhinite allergique aux moisissures sans doute…Vous savez, c’est la saison…
    – Ah bon ? Mais c’est propre Docteur chez moi, je passe mon temps à faire du ménage ! Robert me le reproche assez !!
    – La moisissure, c’est insidieux. Ca vient avec l’humidité. Ca prolifère l’air de rien et quand ca devient vert, c’est déjà trop tard, le mal est fait…Votre maison est exposée à l’ouest, elle vieillit que voulez-vous …
    – Dites moi que ça se soigne Docteur …
    – Oui, il faut faire des fumigations…Achetez du souffre et vous le faites brûler dans la cheminée. Avec un peu de chance, vous vous épargnerez les éternuements…
    – Ah oui ? Et c’est ennuyeux les éternuements ?
    – On voit que ça ne s’est jamais produit…Et bien…Tremblements des murs, fuite des robinets en tout genre, buée sur les vitres, et courants d’air épouvantables à faire claquer les portes…
    – Oh mon Dieu, Robert ne supportera jamais…
    – Ah oui, j’allais oublier : si le chauffage s’élève brutalement, prévenez-moi. Les accès de fièvre et la surinfection sont possibles…
    – Je vais surveiller le thermomètre…
    – Une dernière chose : oubliez le plumeau à poussière quelque temps : les chatouilles et les acariens sont des facteurs aggravants…
    – Merci docteur, je vous tiens au courant, bonne journée.
    Berthe raccroche, songeuse. Elle avait oublié de poser une question. Que se passerait-il si la maison décidait de se moucher? Elle vérifie le stock de sopalin, la réserve de serpillères. Elle aligne les seaux de ménage, les bassines, enfile son tablier à carreaux et ses gants Mapa. Elle va envoyer Robert à la quincaillerie acheter des bâtons de soufre. Assise dans la cuisine, les oreilles aux aguets, elle se tient prête à tenir le siège des heures à venir.

  10. Antonio dit :

    – Ah effectivement, elle semble avoir mal pris la nouvelle. Vous a-t-elle depuis exposé des plinthes souffrant d’un mauvais état ?
    – Ce serait le comble, nous lui avons collé une garde robe toute neuve, un papier peint Zoffany et une peinture de chez Valentino. Elle n’a jamais été autant bichonné que depuis qu’elle va nous quitter.
    – Comprenez-la, elle vit cela comme un abandon !
    – Mais docteur, elle a 25 ans. Il est temps pour elle de quitter le cocon d’une première acquisition et pour nous de profiter de la plue-value !
    – Certes, mais votre maison n’est peut-être pas mûre pour faire le pas vers le monde adulte des transactions immobilières.
    – Oui, mais c’est la vie. Nous lui avons apporté tout ce u’une maison peut avoir, le confort, des soins réguliers, une tenue exemplaire dans la vie du lotissement, des études longues et coûteuses. Rien que le devis pour la salle de bain nous a coûté un bras, et j’en passe.
    – Je comprends. Peut-être faudrait-il lui expliquer, l’emmener voir un couvreur qui lui parlerait de toit, enfin d’elle, de ce qui se passe dans sa tête, ces fuites. Je veux bien lui prendre sa pression artérielle, lui donner un traitement contre l’humidité, des antidépresseurs quoi, mais cela ne réglerait pas la cause.
    – Bien docteur, nous n’avons pas le choix je crois, si nous voulons vendre à un bon prix.
    – C’est plus sage !
    – Ah, ces jeunes maisons, ça pleure pour un rien. Celle de mes grands parents était centenaire, une troisième main et elle n’a jamais bronché, pas un craquement, rien. Seulement ils l’ont rasé après la guerre pour construire un aéroport !

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