376e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat

Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite,
quitter ses collines et vivre en ville, 

mais il s’ennuyait déjà.
Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.

C’était sans compter sur…

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29 réponses

  1. MALLERET dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite, quitter ses collines et vivre en ville, mais il s’ennuyait déjà. Alors il remplaça ses chèvres par des chaises. Un troupeau de chaises qu’il menait paître dans les jardins publics.
    C’est sans compter sur…

    la mentalité des gens. Si vous sortez du moule établit par on ne sait qui, vous risquez d’être catalogué comme : avoir pété un câble, être givré, dingue etc… la liste des synonymes n’en finit pas, elle doit être la plus longue pour ce mot de notre vocabulaire. Bizarre d’ailleurs ! Bref, ce vieux chevrier, toute sa vie en compagnie de chèvres, avec lesquelles, sans doute, il conversait pour rompre la monotonie de sa solitude ne put supporter leur absence. Elles étaient ses amies, sa famille, chacune avait un nom et un caractère qui ne se confondait avec aucune autre. Elles ressentaient sûrement sa bienveillance et peut-être que leurs bêlements étaient des réponses. Aucune recherche n’ayant été programmée sur le langage des chèvres, considérons qu’il parlait à sens unique.

    De ce fait un troupeau de chaises restait un troupeau qu’il fallait mener à l’herbage. Loin d’être fou, il ne trouva aucun autre moyen pour se désennuyer. Non seulement ses collines à perte de vue, sa nature avaient été remplacées par des immeubles, le bruit lui cassait les oreilles, et il était encore plus seul; de quoi se faire sauter la cervelle si on n’a pas un sursaut d’énergie. C’est ainsi qu’il devint chaisier.

    Faute d’étable, il remisait ses chaises dans la cave et tous les jours étaient une galère pour les sortir une par une. Et puis les feux verts ! Ils ne comprennent rien, ceux-là ! Alors c’était à chaque fois sous un concert de klaxons qu’il finissait de faire traverser sa douzaine de chaises. Bah ! il s’en fichait, l’important était le bien-être de son troupeau.

    Au parc, la majorité des gens souriait en se vissant le doigt sur la tempe sauf évidemment les enfants qui se précipitaient autour de lui pour lui demander le nom de chaque chaise qu’ils n’oubliaient plus. Le mercredi, le samedi et le dimanche la seule sortie qui les intéressait était d’aller voir le chaisier et prendre des nouvelles de telle ou telle chaise. Il s’en suivait une longue conversation avec le vieil homme sur sa vie d’avant quand il emmenait paître ses chèvres.

    Or, un jour, un grincheux se prit le pied dans une chaise et tomba se cassant la jambe. Il porta plainte. Comment se défendre devant la justice des adultes ? La sentence fut implacable malgré la défense acharnée d’un tout jeune avocat : Une semaine de prison pour blessure involontaire. Cette peine ressemblait trop à un enfermement de personne mentalement dérangée. L’avocat contacta la télévision et les journaux trop contents d’avoir un fait divers peu commun à se mettre sous la dent. Mais ce qui compta le plus fut l’armée d’enfants qui se mobilisa pour faire libérer leur chaisier et son troupeau qu’ils adoraient.

  2. AB dit :

    Il avait souvent pensé à ce moment ultime où il devrait dire adieu à son gardiennage embaumé
    Ne plus voir ses chèvres et ne plus leur conter des histoires enchantées.

    Cette puissance cachée d’être leur chef sans pour autant aimer les commander
    Et ses confidences sacrées qu’elles seules semblaient comprendre et lui, leur confier.

    Adieu petites chèvres adorées, la retraite vient de sonner
    Adieu jolies collines où je vous regardais brouter.

    Perdu dans les rues, il ne faisait que déambuler.
    Il pensait à ses collines et à ses chèvres regrettées.

    Cependant lui vint une idée, une petite lumière mais cela suffit
    A le décider de tout entreprendre pour que cette dernière prenne vie.

    Il décida de créer dans le nouvel espace de sa vie un atelier d’écriture
    Voyant d’abord une table et des chaises dans cette superbe aventure

    Troquant ainsi ses biquettes par de la matière brute
    Pour obtenir au final de la matière grise, quelle culbute.

    Ainsi fut fait au grand plaisir des arrivants nouveaux
    Notre chevrier fut fort aise d’avoir trouver un autre troupeau.

    • FOURET dit :

      Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite.
      Quitter les collines et vivre en ville.
      Mais il s’ennuyait déjà.
      Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
      Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.
      C’était sans compter sur les Promeneurs…
      Il arrivait tot le matin, bien avant tout le monde et installait ses chaises bien rangées… en général près du bassin mais pas trop, et à proximité des arbres qui donnaient un peu d’ombre dès que le soleil faisait son apparition…
      Hélas le soleil n’arrivait pas seul… Oh non pas que la présence des promeneurs dérangeaient notre chevrier. Finalement, ça lui faisait un peu de compagnie et souvent ils arrivaient flanqués de leurs Gamins … Le problème c’est que les Promeneurs déplaçaient les chaises.. il les approchaient bien trop près de l’eau et le chevrier craignait alors qu’elles ne tombent… quelques fois même, il les entrainaient plus loin et le chevrier craignait de ne pas les retrouver. Quand aux Gamins, il leur arrivait de faire tomber les chaises… Il y avait quelques pieds cassés en fin de journée.
      Ainsi, toute la journée le vieux chevrier courait de droite et de gauche pour récupérer ses chaises et les ramener autour de l’arbre ou il aimait s’installer… Il n’était pas contre que les Promeneurs et les Gambiens profitent de ses chaises mais Nom de Dieu qu’ils en prennent soin au moins ! qu’ils les ramènent ! Ces gens de la ville… ils ne font attention à rien : ils prennent, ils déplacent, ils utilisent et ils repartent sans se soucier du reste.
      Alors le soir, après une journée déjà bien remplie, notre chevrier fait le tour du parc pour retrouver ses chaises une après une… Fort heureusement il avait eu l’idée de leur donner un nom comme pour ses chevres.. et lorsqu’il les avait toutes regroupées, il les installait dans son vieux camion et repartait… Ensuite, il allait devoir les essuyer, et pour certaines des réparations seraient à prévoir. Celles-là ne retourneraient pas tout de suite au parc, alors il les mettait à part le temps de les retaper complètement.
      Les autres, retourneront au parc dès le lendemain… et le chevrier pensait déjà à ses nombreux allers-retours pour surveiller ses chaises que les Promeneurs ne manqueraient pas de trimballer n’importe ou…

  3. françoise dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite,
    quitter ses collines et vivre en ville, 
    mais il s’ennuyait déjà.
    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.
    Les dieux étaient à ses côtés, je ne vois que cette explication, car alors qu’il installait celles-ci le long des allées du jardin public de la ville – qui bizarrement n’en comptait aucune – des dames et des messieurs plus ou moins jeunes – s’assirent sur celles-ci en formant un cercle .Ils lui demandèrent de se joindre à eux. Timidement il s’assit et tout l’après-midi ils papotèrent ensemble. On l’interrogea ! Qui lui avait commandé d’installer des chaises pour leur plus grand bonheur bien sûr. Il leur avoua qu’ancien chevrier il avait été obligé de quitter ses collines et ses chèvres après avoir été mis en retraite anticipée et que n’ayant pas voulu se séparer de sa charrette, il transportait des chaises faute de chèvres.
    Tout le monde le félicita de sa reconversion.
    Le gardien du jardin public appelé l’autorisa à laisser ses chaises au grand plaisir de tous. Et c’est ainsi que chaque jour ils se retrouvaient tous pour passer l’après-midi. Des couples se formèrent, des amitiés se nouèrent ; une ancienne fermière invita notre chevrier à venir passer quelques jours à la campagne et quelle ne fut pas sa joie de voir qu’elle avait une chèvre attachée à un piquet. Avec son lait elle faisait des fromages. Ils entrèrent tout de suite en communion et ne se quittèrent plus . Ils gardèrent la charrette et transportèrent les produits de la ferme dans celle-ci pour aller les vendre au marché.
    Comme disait Madeleine de Puiseux « Tel évènement qui vous désespère peut vous conduire au bonheur. »

  4. Catherine M.S dit :

    Mauvais film

    Antoine, un vieux chèvrier,
    En a plus qu’assez
    De ses bêtes rebelles qui ne donnent plus de lait
    Sa décision est prise : il va plaquer le métier
    Descendre des collines et changer d’univers
    Oui, mais que faire ?

    C’est en battant le pavé de la ville voisine
    Qu’il tomba sur une douzaine de chaises orphelines
    Abandonnées près d’un presbytère
    C’est ballot
    Mais il leur trouva un faux air de son troupeau
    Sans doute leur aspect grégaire
    Top là ! Il décida de les adopter
    Et avec elles se mit à voyager.
    Ils traversèrent continents et océans
    Pour que le monde entier pose son séant
    Sur une cohorte d’assises cannées.

    Seulement voilà, au fil du temps,
    Des barreaux se sont cassés
    Des trous se sont formés
    Les dossiers commençaient à se creuser
    Des passants voulant se reposer
    Se sont retrouvés cul par dessus tête !
    Antoine fut accusé …de « crime organisé »
    Pas banal !
    On lui confisqua son troupeau plutôt bancal
    Et on l’enferma dans une chambre d’hôpital.
    Un jour, afin de lui remonter le moral
    Ses plus vieux compagnons lui apportèrent le nécessaire
    Pour égayer cet endroit sépulcral
    Ainsi il put recouvrir les murs de verts pâturages
    Avec des dizaines de biquettes en plein vagabondage
    Et passer des heures à rêver
    Bê, bê, bê, bê, bê …

  5. Jean-Pierre dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite,
    quitter ses collines et vivre en ville, 
    mais il s’ennuyait déjà.
    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.

    C’était sans compter sur la paresse des chaises qui répugne à se déplacer si on ne les saisit pas vigoureusement par le dossier.
    Leur production de lait est ridicule : tout juste quelques centilitres d’eau rouillée par temps de pluie.
    De plus, si on les laisse sans surveillance, les plus belles disparaissent dès qu’on a le dos tourné, bouffées par les loups ou chapardées par une meute de touristes.
    Contrairement aux loups, ces nuisibles à deux pattes étaient fréquents dans la région, et il fallait les empêcher de nuire à son précieux troupeau.
    Comment ?
    Les tirer au fusil ? Ils ne faisaient pas partie du gibier autorisé, et ça lui vaudrait sans doute des ennuis. Il préférait éviter.

    Un matin, il eut une idée géniale : laisser les chaises brouter au bord des allées du jardin public, plutôt que sur les pelouses.
    « Comme elles ne me donnent pas de lait, je vais plutôt porter un uniforme de chaisière pour traire les touristes. »

    Depuis ce jour, il amuse les enfants avec l’histoire d’un vieux chevrier qui avait dû prendre sa retraite et se recycler dans l’élevage des chaises. Et il quête pour les nourrir, car elles n’ont rien à brouter depuis que la pelouse est interdite.

  6. Michel-Denis ROBERT dit :

    Le vieux Chevrier…

    Il n’aimait pas les immeubles. Ca s’amoncelle de manière anarchique, disait-il, il n’y a pas d’espaces entre. Les gros cachent les petits. Il en voyait juste en face, de profil en construction, des jeux de meccano, des cases qu’on empile.

     » Les plaques de béton se croisent. D’ici on dirait des grilles de scrabble. Là, je pourrais mettre un mot compte triple. « Déménagement », c’est trop long, je ne pourrais pas. « Dégage », ça rentrerait mais je n’ai qu’un ‘G’. Donc je reste là ! C’est peut-être un signe ! De toute façon, je n’ai pas envie de partir, je campe ici avec mes chèvres. Monsieur Chevrier était pensif.
    Encore ce téléphone. Depuis une semaine, ils appellent tous les jours. Ils veulent me cloîtrer dans leur ZAPA, comme ils disent, leur zone à personnes âgées, encore un mot orphelin de son dictionnaire. Ils feraient mieux d’inventer un dictionnaire d’acronymes, ça m’aiderait pour le scrabble. Je suis trop vieux, qu’ils disent. Mais je suis bien ici avec mes chèvres… »

    – Allo !… Dans quinze jours ! Mais qui va s’occuper de mes chèvres ?… Quelle solution ?… Mes chèvres sont perdues sans moi. Elles n’ont que moi, vous comprenez… Trop vieux ! moi, vous voulez rire !

    Mais ils ne l’ont pas écouté. Soi-disant que sa toiture prenait l’eau. Où avaient-ils été pêché ça ? Quand ils ont une idée en tête, ils ne l’ont pas ailleurs.
    _________________________

    – Vous allez me caser dans un immeuble ? dit-il soupçonneux.
    – Ne vous inquiétez pas, vous aurez de la visite tous les jours ! répondit la jeune auxiliaire de vie. Regardez, vous êtes au rez-de-chaussée, vous n’aurez que deux marches à monter.
    – Ca va changer de mes collines.

    Celui-ci était bien conçu. La première impression rassurait. Les murs épais de pierres meulières blanches fixaient l’attention sur sa robustesse : un petit immeuble cossu, des pièces spacieuses et bien disposées, une belle entrée et une cuisine donnant sur un jardinet, trois voisines en tout, une au rez -de-chaussée et deux à l’étage.

    – Trois dames seules autour de vous. Vous avez de la chance.
    – L’architecte a bien conçu la chose, répondit-il.
    – Alors, vous êtes content, dit l’auxiliaire soulagée.
    – Le jardin est un peu mince pour mes chèvres. ( » Comment peut-elle être soule et âgée en même temps ? se dit-il. Voilà que j’arrive à lire dans les pensées de l’auteur. « )
    La jeune fille fit mine de ne pas avoir entendu.
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     » Mais qu’est-ce qu’il fait avec ses chaises, se dit la voisine du premier, pas celle juste au-dessus, celle d’à côté, en déplaçant d’un doigt, le rideau pour mieux l’observer. Elle aurait bien ouvert la fenêtre pour lui poser la question. Mais comme il venait d’arriver, elle n’osa pas s’aventurer.  » C’est peut-être des chaises en trop. Six chaises ! comment il te les a attrapées, se dit-elle admirative. C’est encore un bel homme ! »
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    – Alors, grand-père, on attend du monde ! dit l’homme en uniforme bleu-marine.
    – Oui, je vous attendais, dit Chevrier. Asseyez-vous, je vous en prie.
    L’homme compatissant entra dans le jeu. Il s’assit aux côtés de l’homme aux cheveux blancs. Il attendit un moment puis il montra la mairie de ses gros yeux, l’air de dire : « C’est interdit ! « . Ce à quoi répondait Chevrier dans le même mutisme :  » Oui, je sais, je m’en fous, on m’a viré de chez moi, alors je squatte mon grand chez moi, ici c’est public !  » Le manège devint comique. L’homme au képi se mit à sourire coincé.

    – Vous ne pouvez pas rester là, grand-père, dit-il.
    – (Il m’énerve à m’appeler grand-père, fais quelque chose l’auteur, défends-moi.) Quand mes chèvres auront fini de paître, je m’en irais.
    – Mais les chaises, ça ne paît pas, dit l’homme de la maréchaussée qui avait mal compris.
    – Ca eut payé, mais ça ne paye plus, répondit le pâtre.
    – Paître, je vous parle du verbe paître. Une chaise, ça ne broute pas, rectifia le gardien de la paix.
    – Je l’ai vu dans le scrabble, une chaise, vous pouvez la croiser avec paître.
    – Vous m’embrouillez grand-père.
    – (« Je te prends à témoin, l’auteur, s’il n’arrête pas de m’appeler grand-père, je le mets au trou. Il croit que je perds la tête. j’ai joué le bon coup. ») J’ai appelé le journal, ils arrivent dans cinq minutes.
    – Quel journal ?
    – J’ai prévenu le maire aussi. Si vous ne me rendez pas mes chèvres et ma maison, je balance tout au journal. (L’auteur ! tu vérifies que l’histoire se termine bien et qu’on me rende ce que j’ai demandé, mes chèvres et ma maison. Et que le voisin qui a gardé mes chèvres n’ait pas d’ennuis. Dépêche-toi, c’est urgent.)

  7. Clémence dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite, quitter ses collines et vivre en ville, mais il s’ennuyait déjà. Alors il remplaça ses chèvres par des chaises. Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.

    Il avait tout prévu dans son sac de berger – même s’il était chevrier : un petit pot de lasure en cas d’égratignures, des coussins gonflables pour postérieur fatigué, des emplâtres, des macérats et des simples.
    Il avait gardé sa houppelande verte et sa houlette, avec laquelle il lançait adroitement des boules de coton sur les chaises acrobates.
    Mais c’était sans compter sur les commentaires affligeants, désobligeants et parfois désopilants des promeneurs.
    Le triple jet d’eau bassin était de la partie et projetait mille petites perles acerbes, tandis qu’Éros et Diane Chasseresse se gaussaient sur leur socle de pierre patinée.

    Les événements de cette journée de printemps l’avait frappé en plein cœur. Les enfants avaient perdu toute leur candeur et toute leur poésie. Cruellement, ils avaient émis des doutes sur la santé mentale du chevrier.

    Il rentra chez lui, abandonnant son troupeau de chaises à son triste sort.
    Il se versa un verre de vin rouge et le leva à la santé des dieux. Puis, se ravisant, il en interpella un seul. Pan. Il lui envoya une diatribe pas piquée des vers.

    Lorsque le chevrier reprit son souffle, Pan l’interrompit et enchaîna :
    – Je t’ai laissé faire, mon ami. Moi, je voulais simplement tester ta créativité. Et qu’as-tu fait ? Rien. Rien d’original. Rien de transcendant. Quatre pattes vivantes remplacées par quatre pattes de bois. Lamentable ! Renoncer à ta liberté en quittant les verts pâturages pour une cage à poules ou à lapins. Désolant ! Franchement, je te croyais plus créatif !

    Le chevrier en restait bouche bée. Jamais il n’avait dû subir une telle volée de bois vert. Il croulait sous les reproches. Et Pan ne s’arrêta pas là. Il gronda. Il tonna :
    – Que tu es ingrat ! Voilà comment tu me remercies après toutes les bontés que je t’ai accordées ! Un troupeau de chaises banales qui déambulent dans les allées des parcs et des jardins. Franchement, tu me déçois…

    Le chevrier se reprit doucement en pensant à toutes les chèvres qui avaient péri sous les crocs des loups insatiables. Il releva la tête.
    – Qu’auriez-vous voulu que je fisse pour votre plaisir ?

    Pan en resta comme deux ronds de flanc ! Voilà qu’un chevrier se met à parler comme un académicien ! Il tenta de l’estourbir d’une dernière botte secrète:
    – Ah, monsieur le chevrier, si vous eussiez eu de la créativité pour deux sous, vous auriez prévu de rénover les sièges de l’Opéra, au velours trop usé,
    Ceux de l’Agora, aux dossiers trop raides,
    Ceux du Forum, aux pattes fatiguées,
    et, pourquoi pas… les fauteuils de l’Académie !

    Le visage du chevrier s’illumina. L’Académie ? Un illustre journaliste, écrivain et philosophe n’avait-il pas laissé ce 5 décembre, un siège à pourvoir ?

    Il était confiant. Il avait déjà le costume : sa houppelande verte qu’il n’avait jamais quittée….
    © Clémence.

  8. Antonio dit :

    C’était sans compter sur une meute de loulous qui en avait marre de se casser le cul sur un bout de pelouse. Ces chiens de badauds les avaient mis au ban des assises publiques. Des vieux fatigués, des familles avec leurs gosses à l’heure du goûter, et ces amoureux qui n’en finissaient pas de se bécoter.

    — Hé les gars, vous voyez c’que j’vois ? dit le chef.
    — Non, où ça ? demanda un tout petit à lunettes rondes.
    — Là, juste devant toi, nigaud ! … Le dernier assis est une couille molle !

    Il se leva le premier et se mit à courir comme un dératé, suivi par les plus vifs de la meute. Les chaises du vieux chevrier paissaient tranquillement, tels des mobiliers domestiques sans conscience du danger. Elles n’avaient connu jusqu’ici que les tables d’une salle à manger, une vie bien rangée. Mais un jardin public, un mercredi, à l’heure du goûter…

    Le berger ne les vit pas arriver. De partout. Les loulous hurlaient comme des sauvages, montant sur les chaises, s’agrippant à leurs dossiers, les faisant même basculer, se déchirant pour avoir le dessus le premier.

    — C’est la mienne !
    — Non, j’étais là avant toi !
    — Les enfants ! du calme ! Ayez pitié de ces pauvres chaises qui ne vous ont rien fait, suppliait le vieil homme, dépassé.

    Ils avaient fini par le rendre chèvre depuis qu’il donnait un coup de main à la maison des jeunes et de la culture. Chaque mercredi après-midi, le kiosque du jardin public proposait un concert de musique classique. Et c’était le même drame, chaque semaine, le même de jeu des chaises musicales. Seul le loulou à lunettes rondes restait debout, tout penaud.

    — Couille molle ! Couille molle ! hurlait les autres de la meute, bien assis.

    Ainsi étaient faites les lois de la nature urbaine, pensa le vieux chevrier qui regrettait son troupeau et ses collines.

  9. Blackrain dit :

    …un agent de la police municipale qui n’appréciait guère ces chaises bucoliques. Cet agent avait la peau lisse et le sourcil broussailleux. Il était d’un naturel peu affable, plus adepte du vin que de La Fontaine. Il travaillait si souvent sur le tas bourré qu’il avait du s’assoir sur sa promotion.

    Comme chaque matin l’ancien chevrier apportait ses chaises pliantes, ses chaises priantes, afin de faire le siège des espaces verts. Elles priaient silencieusement au passant de s’assoir un moment, de surseoir un instant à sa course contre le temps. Si le vieux sage ne pouvait plus faire paître ses chèvres, il voulait faire prêtre ses chaises pour donner de la spiritualité aux trépassants d’une vie surmenée. Le vieux sage qui n’avait pas d’heure, qui ne connaissait pas le leurre d’une vie effrénée, en avait pris pitié. Il voulait mettre de la piété sur leur passage. Mais le policier, imbu de ses prérogatives, cueillait des pensées négatives sur le pré carré de ce père la chaise. Il voulait l’envoyer au cimetière ou à défaut aux assises.

    Alors sur le pré il entre et toise ce nouveau berger avant de lui dresser un procès verbal. Mais la morale est sauve. Le procès ne reste que verbal car notre amateur de chaise avait un bon ami du barreau qui soutint son dossier auprès du procureur.

    Aujourd’hui, tandis que le fonctionnaire broie du noir accoudé au comptoir, le chevrier éclairé veille toujours sur son troupeau de chaise dans ce monde d’à peu pré.

  10. Nadine de Bernardy dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite.Quitter les collines et vivre en ville, mais il s’ennuyait déjà.
    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.Un troupeau de chaises qu’il menait paître dans les jardins publics.
    C’était sans compter sur la fantaisie d’un certain Cupidon,bien connu des coeurs en berne.
    Un matin que notre chevrier menait ses chaises au vert dans son parc favori de la Tête d’Or,à l’emplacement qu’il jugeait le plus agréable,au bord de l’étang,il vit que celui ci était déjà occupé.
    Indigné, il s’approchât de l’intrus dans le but de lui dire son fait.Quelques pas de plus il s’aperçut que c’était une intruse en fait: une bergère!
    Somptueuse, accueillantes, à joues pleines,une merveille du 15ème siècle,avec un moëlleux coussin assorti à son habit jaune de Naples à motif floral amarante et bleu de Cyan.
    Avec ça des pieds gracieux,galbés, délicatement patinés par les ans,un bois chaud et blond,une assise profonde.
    Coup de foudre! Monsieur Bernard Seguin en resta sans voix.
    Il salua la bergère,lui présentât ses chaises qui commençaient à tiquer devant tant d’intérêt pour une inconnue d’une telle classe,les disposa en rond ,s’assit en face de la belle qui se laissât admirer sans modestie aucune.

    Une voix douce le sortit de sa rêverie amoureuse:
     » Elle vous plait n’est ce pas? Elle est superbe.Jusqu’à présent je n’osais pas la sortir mais avec ce beau temps.
    Et là, je crois que j’ai bien fait. »
    Surpris,le retraité se retourna .
    Une femme plus très jeune,souriante,les yeux clairs, cheveux blancs,le regardait, amusée.
     » Oui en effet elle est magnifique et….
    – Chut! ne cherchez pas à comprendre,je ne vous demande rien au sujet de vos compagnes.Venez plutôt vous asseoir avec moi dans ma bergère,il y a de la place pour deux. »
    Juste pour deux,bien serrés l’un contre l’autre ,ils firent connaissance au grand dam du troupeau délaissé.
    Ils ne virent pas le temps passer,le soleil s’apprêtait à se coucher.
    Chacun rentra chez soi avec la promesse d’une nouvelle rencontre rapide et au diable chaises et bergère.

  11. Maryse Durand dit :

    Le vieux chevrier avait du prendre sa retraite, quitter les collines et vivre en ville, mais il s’ennuyait déjà. Alors, il remplaça ses chèvres par des chaises. Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics. C’était sans compter sur…… le gardien, qui voyait d’un mauvais œil un troupeau, fut-il de chaises, brouter sa pelouse. Tonio, le chevrier, eut beau lui expliquer qu’elles étaient tout-à-fait inoffensives, rien n’y fit, et Tonio dut rentrer ses ouailles à la chaiserie.
    Contrarié, il chercha une solution, et se mit un matin à peindre ses chaises couleur vert prairie. A peine séchées, il entreprit de les reconduire dans ce même square où l’herbe était bien grasse. Hélas, vert prairie n’est pas vert pelouse et le gardien eut tôt fait de démasquer la supercherie : « Pas de ça ici ! ». Et Tonio dut ramener ses chaises sans qu’elles aient pu brouter le moindre brin d’herbe. Il décida alors de peindre quelques fleurs sur ses chaises, de la couleur de celles qui bordaient les pelouses : jaune, orangé, fuchsia, rose. L’ensemble était ravissant, et tromperait sûrement le gardien. Tonio reprit ainsi le chemin du square, menant son troupeau en sifflotant. Il disposa ses chaises deci-delà, histoire, tout de même, de ne pas trop attirer l’attention.
    Il remarqua bientôt une charmante dame assise sur un banc qui donnait du pain aux oiseaux. Ils firent rapidement connaissance : « Que faisiez-vous avant, dans la vie ? J’étais chevrier, et vous ? J’étais chaisière, ici, dans ce même square. Que c’est triste, aujourd’hui, il n’y a plus que des bancs ; et plus de gardien non plus, il a pris hier sa retraite. » Ces deux-là étaient faits pour s’entendre !
    A partir de ce jour-là, on vit quotidiennement un troupeau de chaises aller au square se repaître de la bonne pelouse, suivi par Tonio et sa nouvelle épouse. La presse s’empara de l’affaire, ils passèrent même au journal télévisé ! Ils suscitèrent des vocations : si vous voyez par ci, par là, dans un jardin public, un troupeau de chaises broutant une pelouse, ayez une petite pensée pour Tonio, chevrier et poète.

  12. Daisy dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite, quitter ses collines et vivre en ville, mais il s’ennuyait déjà. Alors il remplaça ses chèvres par des chaises. Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics. C’était sans compter sur la curiosité des enfants qui venaient y jouer.
    – Pourquoi tu amènes des chaises avec toi ?
    – Pourquoi tu parles avec des chaises ?
    – Pourquoi personne s’assoie sur tes chaises ?
    – Pourquoi il y a pas de chaises pour les enfants ?

    Les adultes le remarquaient à peine : au mieux ils le prenaient pour un artiste en pleine performance, au pire ils le prenaient pour un fou. Personne n’avait le temps de s’asseoir et les parents qui accompagnaient les enfants avaient déjà leurs bancs attitrés.

    Le vieux chevrier expliqua aux enfants : ses chèvres restées dans sa montagne, le petit studio que ses enfants avaient trouvé, les collines qui lui manquaient. Quelques phrases suffirent aux enfants :
    – On peut jouer avec toi ?
    – Quel bruit ça fait une chèvre qui parle ?
    – Qu’est-ce que ça mange une chèvre ?

    Les enfants prirent place sur les chaises et donnèrent vie au troupeau. Les parents ébahis demandèrent au vieux chevrier s’il avait déjà gardé des enfants car jamais ils n’avaient vu leur progéniture si calme et passionnée. C’est ainsi qu’après avoir été chevrier puis gardien de chaises, il devint baby-sitter.

  13. Cetonie dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite, quitter les collines et vivre en ville.
    Mais il s’ennuyait déjà. Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.
    C’était sans compter sur une bande de joyeux gamins, trop contents de s’approprier ces chaises libres au milieu des pelouses en principe interdites aux passants. Ils ‘abattirent telle une nuée de moineaux, riant et piaillant, sans un regard pour le vieux berger qui les regardait d’un œil effaré, très inquiet de voir la réaction de ses protégées tant aimées.
    Inquiet aussi, il faut bien l’avouer, de la réaction des adultes –parents, promeneurs, gardiens, toutes personnes raisonnables qui pourraient s’étonner d’un spectacle aussi insolite.
    Aussi, il entreprit de guider son petit troupeau vers une sortie discrète, les chaises obéissaient à ses appels, et les enfants n’en pouvaient plus de rire tout en s’accrochant fermement à leur siège bien remuant, qui tentait timidement de se débarrasser de ce poids inhabituel. Chacune y mit du sien pour ne pas décevoir le vieux berger et ne pas laisser les enfants se blesser – il y a un gène dans l’ADN des chaises qui leur interdit de maltraiter un humain. Les rues étaient désertes, personne ne remarqua cette troupe étrange.
    Mais la nuit tombait, et les parents inquiets commencèrent à chercher leurs enfants, on les entendait appeler avec autorité d’abord, puis une inquiétude grandissante lorsqu’ils se virent nombreux dans la même situation, et sans aucune réponse. Un gardien suggéra d’appeler la police pour la poster aux portes du jardin, pendant que tous s’organisaient pour passer pelouses et massifs au peigne fin. Mais c’était trop tard, le chevrier était déjà sorti, suivi de son troupeau. Parvenu à bonne distance, n’ayant pas les moyens de les héberger dans sa remise, il demanda aux enfants de retourner vers leurs parents, ce qu’ils firent en rechignant un peu, et en lui faisant promettre qu’il reviendrait le lendemain.
    C’est donc une petite troupe, encore surexcitée, qui se présenta aux portes du parc, mais pas du côté où on les attendait, et fut fort mal accueillie par des forces de l’ordre qui avaient pour seule consigne de ne laisser sortir personne. Les enfants eurent beau expliquer que leurs parents étaient sûrement à l’intérieur et les attendaient, il fallut de longs pourparlers pour obtenir de les rassurer, et encore un tas de formalités pour que chaque enfant soit rendu à sa famille (on ne dérange pas impunément la force publique !)… Personne ne crut aux explications confuses des enfants qui d’ailleurs, tout à leur plaisir, n’avaient rien cherché à comprendre,
    Et le lendemain, le chevrier était déjà loin…

  14. Joailes dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite,
    quitter ses collines et vivre en ville,
    mais il s’ennuyait déjà.
    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.
    C’était sans compter sur le bouc émissaire de l’histoire.
    Il a rapidement transformé toutes les chaises (qui venaient à peine d’être transformées, alors qu’elles étaient des chèvres, je vous le rappelle !) en magnifiques chevrettes toutes belles et toutes jeunettes.
    Et lui, le bouc émissaire, fatigué, rompu, déçu …
    Il a emmené la chèvre qu’il avait choisie, pas plus belle que les autres, pas plus forte, mais juste parce que c’est elle qui avait arrêté son regard sur une immense prairie ; sur sa colline.
    Il lui a dit : « Tu vois : ici, il n’y a rien. Que des collines. Et ici nous vivrons. Sur les hauts et les bas des collines. »
    Et, de nouveau, ce fut un pays de chèvres, parce que, dans ce pays, l’amour n’est pas dans les chaises sans âme, mais dans le parfum des chèvres, du terroir, des racines …
    Et le vieux chevrier put mourir enfin, le cœur apaisé.

  15. patrick labrosse dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite.
    Quitter les collines et vivre en ville.
    Mais il s’ennuyait déjà.
    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.

    C’était sans compter sur son spectacle improvisé ! A peine le soleil imprimait-il une romantique danse, crevant le crépuscule d’un spot rouge sang, les badauds arrivaient, jeunes, vieux, nuanciers de couleurs et d’odeurs sans pareil.
    Les uns apportaient le pain, d’autres le vin, les plus audacieux quelques instruments improvisés.
    C’était l’heure pour le vieux… le signal !
    Chaque chaise avait son petit lopin réservé, la Blanchette aux premières loges, la Grisette plus timide mise sur le côté pour ne pas l’effaroucher, la Noiraude trop enthousiaste bien plantée près d’un vieux chêne, Ginette au cœur de l’arène, une petite attention pour chacune d’elles…
    La foule prenait place, chacun, chacune auprès de sa préférée. Mireille revendiquait avec impertinence les premières loges. Laurence poétesse de renom rejoignait timidement le petit côté. Farida s’accoudait au vieux chêne. Emilie danserait sur sa chaise et les hommes, boucs aux relents musqués ruminaient, s’enflammaient, s’agaçaient, comme d’habitude…
    De petits cabris gambadaient dans les jupons de leurs mères, certains faisaient de belles cabrioles sur leur chaise, ils ne pouvaient pas rester en place…
    Tous attendaient, s’impatientaient…
    Et puis Le vieux chevrier s’invitait au centre de l’agora !
    Là, il se sentait vibrer, il déclamait le pays, les odeurs, les courbes de la montagne, les petits qui naissent, les cabrioles, les cavalcades et puis l’approche du loup, la montée en estive, le retour dans la vallée, une vie rythmée, cadencée sur le pas des chèvres…
    A tour de rôle, chacun pouvait intervenir, qui en chantant, d’autres en dessinant, en improvisant une scène, un discours, une clameur, un bruit de bête peu importe il fallait dire, aider le vieux à tenir, à se souvenir et peu importe si l’histoire prenait des tournures fantasques, c’était juste un conte …
    D’ailleurs personne ne pouvait dire si le chevrier fut un vrai paysan, on l’avait toujours vu, déambulant ici et là, perdu dans le cheminement de ses pensées !

  16. grumpy dit :

    Voilà un sujet qui me botte (de luzerne).

    Usé et fatigué, le visage buriné à force de grand air, Arsène s’était résigné à vendre son troupeau de chèvres et à quitter ses collines pour s’en retourner vivre en ville. Et pas n’importe laquelle, la capitale où il était né et qu’il avait fuie à la fin de ses études par idéal écologique.

    Pourtant il l’avait drôlement aimé son troupeau auprès duquel il avait passé la moitié de sa vie. Mais quelle vie… Ah, c’est joli les chèvres, longs poils bruns, beiges ou blancs, cornes bien cirées, et les barbichettes donc ! (très mode, bien avant que la plupart des mâles français ne se croie obligée de laisser pousser la sienne pour être dans l’air du temps, même si rares sont ceux auxquels elle va bien.)

    Bien sûr il les regretterait ses bichettes et penserait même parfois avec nostalgie aux indomptables qui l’avaient fait le plus enrager :

    – celle qui crottait son chapelet comme par hasard juste au moment où le troupeau passait devant la mairie pour rejoindre la pâture,
    – celle qui bouffait régulièrement les géraniums du monument aux morts,
    – celle qui décrochait le linge sur les cordes pour en avaler les chaussettes,
    – celle qui bifurquait brusquement vers le chemin menant au cimetière comme s’il était pensable d’y voir un jour une chèvre inhumée,
    – celle qui avait pris en grippe le coiffeur (tailleur de boucs) et donnait des coups de cornes dans sa vitrine,
    – et le bouquet : celle qui s’essayait à la corrida fonçant tête baissée dans la soutane du curé.

    Il revint donc s’installer dans son quartier d’origine, près du square Saint-Lambert, jouxté d’un cinéma d’Art et d’Essai du même nom, lequel, resté dans son jus de velours rouge râpé et d’écran noir et blanc, lui permettrait de revoir de temps en temps les bonnes bobines de son ciné des années 50.

    Mais peu à peu la solitude faisant, son troupeau lui manqua cruellement. Il imagina afin de retrouver un peu de compagnie, fut-elle fictive, de reconstituer en quelque sorte son troupeau. La proximité du joli petit square lui fit imaginer un troupeau immobile, si naturel dans cet endroit qu’il en serait invisible. Il pourrait de nouveau « garder », il ne pouvait pas s’empêcher.

    Il racheta à un bistrot en faillite le lot complet des chaises de terrasse, en bon état, toutes pareilles et pour trois fois rien, une bonne affaire. De nuit il les amena une par une et les disposa en rangs d’oignons sur le petit kiosque à musique délaissé depuis longtemps par les instruments.

    Voilà une nouveauté qui fit la joie des gamins, surtout lorsque le plus effronté s’asseyant sur une chaise s’aperçut qu’elle lâchait une note de musique. Il appela tous ses copains qui eurent tôt fait de tester toutes les autres. Ils se levaient et s’asseyaient les uns après les autres, l’un jouant le Do, l’autre le Ré, un troisième le Mi, un quatrième le Fa, et ainsi de suite pour le Sol, le La et le Si.

    Ainsi se forma un petit orchestre improvisé qui fit la joie du quartier, la Une des journaux et le bonheur du vieux chevrier si fier d’avoir acheté tout à fait par hasard des chaises musicales.

  17. laurence noyer dit :

    Quand les retraités* des villes s’installent à la campagne …

    Chaisier élève des chèvres
    Acupuncteur brode et tricote
    Standardiste écoute son écho
    Golfeur practice sur une taupinière
    Artificier fait des ronds dans l’eau
    Prothésiste-audio apprend la langue des signes
    Horloger ne se fie qu’au cadran solaire
    Journaliste enquête sur sa petite personne
    Militaire peint sur les troncs des tenues de camouflage
    Groom grimper aux arbres
    Hotesse-de-l’air vole à l’étalage
    Barman fait des cocktails de senteurs
    DJ laisse les platines aux oiseaux
    Interprète traduit le langage des fleurs
    Carreleur est spécialiste en carrés de verdure
    Coiffeur invente de nouvelles coupes aux taillis bocagers
    Commissaire suit la trace de l’« authentique »
    Déménageur s’installe dans une nouvelle saison
    Miroitier offre ses services aux alouettes
    Croque-mort repart pour une seconde vie
    Opticien entraîne sa monture au vert
    Banquier entasse des liasses de feuilles d’automne
    Doreur réinvente l’automne
    Concierge n’est plus dans l’escalier

    * Métiers à consulter dans Pages Jaunes Retraités

  18. durand dit :

    Jean,le vieux chevrier avait du prendre sa retraite, quitter ses collines et vivre en ville, mais il s’ennuyait déjà.

    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises. Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.

    C’était sans compter sur la paresse et l’incompétence des citadins.

    A peine avait-il sélectionné la meilleure pelouse pour sa petite troupe que des sagouins inconscients venaient s’installer sur les chaises.

    Un jour, il surprit un jouvenceau, vautré sur l’une de ses protégées.

    Jean Latalle ne se démonta pas. Il aborda le malotru:
    « Eh…Mr le citadin des boulevards, comment voulez vous que la chaise puisse paître si vous y installez…pardieu…votre infâme postérieur aux relents de moleskine »

    Face à la trogne du Jean et à son bâton ferré, le bougre s’excusa platement et se chercha un banc public. Avant de s’y installer, il questionna quand même le gardien des banquettes:

    « Là, ça va, je peux m’y reposer ?
    – Pas de problème mon gars, lui répliqua le Jean les vaches, c’est pas mon rayon »

    Et il repartit humer les rares fleurs…éparpillées entre les crottes de chiens:  » Tête de bouse…, ça doit être ça les fameux granulés pour nourrir leurs poêles ».

    Un petit bout de bonne femme poussa la grille du jardin. Ca grinçait mais il ne savait pas d’où. L’ancêtre portait sur l’épaule un drôle d’engin en ferraille.

    Jean la regarda déplier au bord de l’allée un vieux siège de camping. La dame semblait s’interroger sur la solidité de la toile.

    « Pauvre Mémé, songea Jean, elle n’a même pas derrière chez elle un carré d’herbe pour y laisser vivoter sa vieille poule!

  19. huchet laure dit :

    sans compter sur les passants. Tout commença par les gosses qui les premiers vinrent s’asseoir sur les chaises. Un d’abord, puis deux et trois, soudain, toute une nuée de gamins s’abattit sur les sièges comme une volée de moineaux. Insatiables, ils riaient à pleine gorges, les yeux brillants et la bouche grande ouverte pour gober la vie.
    Puis, les vieillards arrivèrent. Plus prudents, ils occupèrent les chaises doucement, progressivement, un à un, à petits pas, mais… sûrement. Bientôt, pas une seule chaise ne demeura vide. Les gamins délogés tournaient autour, jetant des regards sournois aux aïeux assis.
    Spectateur de cette discrète prise d’assaut, le chèvrier se demandait de quel côté se ranger. Il lui vint ainsi une idée. Tirant son violon de son carquois, il le coinça sous son menton et commença à jouer. A petits coups d’archet légers et discrets d’abord, juste pour que la musique frétille dans l’air. Lorsque enfants et vieillards la perçurent, ils cessèrent de s’agiter pour écouter. Le Vieil homme se mit à jouer plus fort, de plus en plus fort et les enfants à marcher autour des chaises puis les vieux se levèrent pour les suivre. Lorsque le violon se taisait, tous se précipitaient pour s’asseoir. A la fin, un seul restait qui disparaissait. Il semblait qu’à chaque fois, une chaise disparut aussi. Et le violon reprenait sa musique et les enfants et les vieillards couraient autour des sièges en une ronde effrénée, plus vite, de plus en plus vite; tant et si bien qu’à la fin ne restait qu’une chaise, un enfant et un vieil homme: le chévrier… Il jouait toujours et longtemps, l’enfant entendit la musique alors que le vieil homme, à son tour s’était évaporé.

  20. Odile Zeller dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite.
    Quitter les collines et vivre en ville.
    Mais il s’ennuyait déjà.
    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.
    C’était sans compter sur l’aide d’un chien Patou. Le molosse le guettait au coin de la rue et barrait la circulation pour permettre la lente progression du troupeau particulièrement raide et lent. Bien sur a chaque traversée de passage clouté la procession provoquait un concert de Klaxons. Peu à peu la promenade quotidienne des dix chaises jusqu’au square rentra dans les habitudes. L’horaire des bus s’en trouva modifié. On installa des interrupteurs aux feux rouges. Les écoliers adoraient cette cavalcade qu’ils croisaient sur le chemin de la cantin. Les adolescents chevauchaient les chaises et avançaient à grandes enjambées comme certaines familles du nord le font à la fin d’une noce.
    La police municipale avait tenté d’arreter Le cortège mais le Joseph n’avait pas cédé et s’etait contente de changer d’horaire, provoquant à une heure de pointe un embouteillage mémorable.

    La transhumance des chaises était devenue l’attraction du quartier. Des touristes japonais se postaient sur le trottoir et prenaient des photos. Les coréens eux envoyaient des selfies chez eux pour montrer le curieux phénomène. Joseph n’en savait rien. Il veillait au respect des feux et refusait de révéler où il cachait son stock. Toute cette agitation le fatiguait. Sans le patou et les enfants il aurait cessé. S’il avait su il n’aurait jamais quitté ses Pyrénées. Sa fille avait tant à faire, sa petite fille étudiait encore et la toute petite n’avait vu qu’une fois son arrière grand père en Chevrier de chaises. Le bruit lui avait fait si peur qu’elle s’était mise à hurler.
    Ses biquettes, leurs clochettes, l’odeur des prés, la neige, tout cela lui manquait … il continuait à faire le vieux fou mais , quand il rentrait à la maison de retraite, il ne jouait pas les héros et refusait les commentaires. Il était devenu célèbre, on l’avait vu au JT régional. Après le dîner il tournait entre ses doigts gourds les quelques photos de lui, béret sur la tête et bâton à la main se tenant fièrement entre ses deux chiens et entouré de son troupeau. Il tournait alors un regard embué en direction de ses montagnes qu’il ne voyait pas de sa fenêtre.

  21. iris79 dit :

    Le vieux chevrier avait dû prendre sa retraite.
    Quitter les collines et vivre en ville. 
    Mais il s’ennuyait déjà.
    Alors il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Un troupeau de chaises, qu’il menait paître dans les jardins publics.
    C’était sans compter sur…le vacher qui se trouvait dans la même situation.

    Ils se rencontrèrent un jour au jardin justement, un jour où le chevrier avait disposé ses chaises autour de lui le regard un peu hagard. Le vacher s’était approché de lui intrigué par cet homme qui chantait des « guizi guizi guizi » tout en balançant cérémonieusement ses bras pour contenir son troupeau imaginaire. Le vacher lui avait seulement dit :

    -Elles sont bien belles vos chèvres ! Combien de têtes dans votre cheptel ?
    -120 ! J’en suis très fier. J’en tire un lait exceptionnel et des fromages divins.

    Le vacher lui rendit son sourire, souleva sa casquette et se frotta le haut du front avant de poursuivre son chemin.

    Mais il revint le lendemain, armé de son bâton et de quelques fauteuils qu’il disposa près des chaises. Le vacher intima à Marguerite et ses congénères de meugler moins fort et les invita à pâturer de leur démarche nonchalante dans ce nouveau pré.

    Le chevrier comprit que dès lors il ne serait plus seul. Le vacher vint s’asseoir près de lui et ils entamèrent la litanie de leurs longs souvenirs, leur enfance, leurs jeunes années, leur vie d’adultes, les collines et les fermes, la ronde des saisons, les veillées et les moissons. Ils évoquèrent les heures plus sombres, la cession, la vente, les douleurs de corps et de cœur ,le temps qui passe, inexorablement et conduit ici, dans cette ville, loin des collines. Heureusement que de petites mares vertes appelées jardins publics nous invitent et trouent la grisaille pour nous permettre d’être avec nos bêtes que nous aimons tant.

    Chaque jour de cet automne les deux hommes se retrouvaient et se racontaient.

    Chaque jour chaises et fauteuils trouvaient maître.

    Jusqu’à celui où le chevrier ne vint pas et le vacher ne vint plus.

    Mais chacune des chèvres et chacune des vaches avait été adopté par des passants, des habitués, des enfants qui avaient l’habitude de passer ici et qui un jour avait pris place pour écouter les paysans se raconter.

    Maintenant c’était à leur tour de transmettre, de parler, d’écouter, d’échanger. Les chaises se rapprochèrent et se mêlèrent aux fauteuils.

    Depuis, bon nombre de personnes traversent ce jardin public rebaptisé « le champ fleuri », s’y posent un moment  en prenant la peine de s’asseoir car elles savent qu’elles ne sont plus seules, qu’elles y trouveront une oreille attentive, pourront bavarder et partager leurs histoires.

  22. Liliane dit :

    Dimitri, un vieux chevrier avait dû prendre sa retraite, quitter ses collines et vivre en ville.
    Sa seule famille : son troupeau de chèvres ! Elles lui manquaient terriblement.

    Alors, un jour, il eut cette idée folle : il remplaça ses chèvres par des chaises.
    Imaginez, un troupeau de chaises en train de paître tranquillement dans le jardin public, avec un vieux qui leur parlait tout en chevrotant.

    Cela aurait pu faire la une du quotidien régional. Cela aurait pu sauver Dimitri.

    C’était sans compter sur la réaction des habitués de ce parc fréquenté par des individus civilisés. Pas des gens de peu, des gens de rien. Non ! Des gens bien-pensant qui… pensaient. Qui ne permettaient pas d’offrir ce tableau à leur progéniture.

    « – Il parait qu’il s’appelle Dimitri, disait l’un en jetant un coup d’œil subreptice à l’intrus.

    – C’est sûrement un bolchevik, décrétait l’autre. »

    Pas de main tendue !

    La folie, ça fait peur.

    Dimitri fut interné.

    C’était sans compter sur la bonhomie de ce chevrier. Il n’abandonna pas. Chaque jour, il s’occupait de son troupeau de chaises. Chacune avait désormais un prénom. Celte fois, on le laissa faire. Il semblait si heureux.

    Un jour, Madeleine, une vieille à la mémoire béante, vint s’asseoir sur une chaise. Dimitri, les yeux brillants lui demanda :

    -Vous aimez les chèvres ?

    – Oh ! Oui ! Et les vôtres sont bien belles ! lui sourit-elle.

    Une amitié naissait.

    Peu à peu, un patient, puis un autre, vinrent s’asseoir sur les chaises de Dimitri. Et les fous souriaient, parlaient, riaient.

    Un jour de grande lucidité, Madeleine raconta Dimitri à son fils Edouard, qui tomba sous le charme de cet étonnant bonhomme.

    Avec ses deniers et l’accord de la Direction, le généreux Edouard fit aménager une chèvrerie, pour le plaisir de tous.

    La Ferme Bleue ! C’est comme ça qu’ils ont décidé de l’appeler. Allez savoir ce qui se passe dans la tête des fous !

    Depuis, chaque jour, ils viennent s’y promener, s’y ressourcer.

    Madeleine et Dimitri aussi.

    Main dans la main.

    • Ellehache dit :

      C’était sans compter sur les enfants. Au début il en vint qui regardait le vieil homme, philosophe. Un second le rejoignit puis un troisième. Un matin, une nuée de gosses s’abattit sur les chaises comme une volée de moineaux sur le pain dur. A califourchon sur ces montures improvisées, les gamins hurlaient de rire. Ils jouaient aux chèvres, caracolant dans les allées. De petits vieux les regardaient. Il en vint un qui assistait au spectacle, philosophe. Un second le rejoignit puis un troisième. Un matin, une foule de petits vieux attendait de pied ferme ce berger des collines descendu garder des chaises dans un jardin public.
      Les aïeux se ruèrent à l’assaut des sièges. très vite, une lutte sournoise s’installa, petit jeunes contre ancêtres.
      Alors, le vieux berger sortit de son carquois son violon, dernière flèche à son arc d’ancêtre. Il fit glisser l’archet, histoire de donner le la à toute cette canaille et de les mettre au pas. Le la les surprit! Un instant ils restèrent ainsi, qui le pied en avant, qui le bras levé. La seconde suivante, ils dansaient, tournant en rond autour des chaises en une course rapide, de plus en plus vite, fusant de toutes leurs jambes. La musique s’arrêta net. Ils se ruèrent sur les chaises. IL en resta un qui disparut, aspiré dans l’air. L’archet se mit à jouer de plus belle et sans cesse s’arrêtait puis reprenait ses notes ensorcelantes. A chaque silence, l’un ou l’autre s’en allait. Tant et si bien qu’à la fin ne restaient que le vieux berger, un enfant et une chaise. le vieil homme poursuivit son chant. L’enfant entendait encore la musique, mais le vieillard depuis longtemps s’ était évanoui dans l’air.

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