Exercice inédit d’écriture créative 260

livre-volé

Madame, Monsieur, libraire à…..
Veuillez trouver ci-joint un chèque
de dédommagement de ….€

pour le livre que je vous ai volé
quand j’étais étudiant (e).

C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

Complétez les blancs et inventez la suite

Sur ce blogue, on n’apprend pas à écrire un roman ou des nouvelles, on enflamme son imagination. Les exercices que j’invente, aiguillonnent l’esprit. Mon but est de conduire toute personne vers le créateur plus ou moins claquemuré en elle. L’enfant imaginatif avec lequel elle se réconcilie définitivement dès qu’elle se prête au jeu. Après quoi, elle décide de mener le projet d’écriture qui lui convient.

23 réponses

  1. Françoise - Gare du Nord dit :

    Madame, Monsieur, libraires à Boulogne-sur-Mer

    Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 15 € pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiant. C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    Ce jour-là, lassé du menu fretin qui constituait la maigre pitance quotidienne de l’étudiant désargenté et affamé que j’étais, j’été venu consulter un oubliable bouquin traitant de la pêche au gros lorsque je suis tombé sur « Pêcheurs d’Islande » de Pierre Loti. En l’ouvrant, je découvris, en exergue, le poème de Charles Baudelaire « L’homme et la mer ».

    Ce fut un choc, une révélation. Ce poème avait été écrit pour moi : il parlait de mon âme qui s’était égarée, de mon esprit que je croyais avoir perdu, de mon cœur meurtri et de mes secrets inavoués.

    Je volai le livre que je ne lus jamais mais ne cessais de m’imprégner de ces vers qui changèrent le cours de mon existence. Je menais jusqu’à présent une vie sans rime ni raison et décidais de vivre de rimes en déraison : les riches comme les plates je les embrasse, je les croise. Je suis entré en poésie comme certains entrent en religion.

    Je devais avoir, ma foi, un certain talent ignoré en moi car je connus d’emblée – chose rare pour un poète – le succès public, l’estime de la critique et l’aisance financière qui va avec.

    Depuis, finies les petites fritures d’ablettes et de goujons. Désormais, les langoustines à l’armoricaine, le homard Thermidor, les huitres et le turbot au beurre blanc font mon quotidien

    J’ai trouvé la fortune le jour où, en vous volant, j’ai renoncé à accrocher des vers au bout de ma ligne pour mettre des vers dans mes lignes

    Espérant me faire pardonner mon larcin
    Et ce dédommagement bien mesquin
    Je vous adresse les sincères salutations
    D’un poète en voie de panthéonisation

  2. Fabienne Scaramiglia dit :

    Madame Arcenaulx
    Librairie du square
    75013 Paris
    Très Chère Madame,
    Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 10 000 000 d’euros pour les livres que je vous ai volé quand j’étais étudiant. C’est vraiment peu au regard de tout ce que ces ouvrages m’ont apporté.
    Vous devez vous souvenir de moi, je pense. C’était il y a une quinzaine d’années : le grand maigre avec des lunettes rondes portant toujours un nœud papillon, avec un pantalon de ville ou un jeans. J’étudiais la comptabilité et la finance. J’étais très doué, mais il me manquait quelque chose de primordial pour réussir en affaires : la confiance en moi.
    Vous aviez un rayon  »développement personnel » très bien garni et toujours avec les derniers ouvrages, ceux que l’on ne trouve pas encore dans les bibliothèques municipales qui manquent de budget pour ça. J’avais remarqué que vous faisiez votre inventaire le mardi matin, aussi je passais deux fois par semaine : le mardi après-midi pour vous emprunter une nouveauté et le vendredi pour remettre l’ouvrage à sa place. Malgré ça, j’ai failli une fois, car j’étais grippé, alité pendant plusieurs jours jusqu’au mercredi. Mais la semaine suivante, votre inventaire balançait de nouveau!
    Vous pourriez me dire :
    ‘’ Il s’agit plus d’emprunts que de vols et ça ne vaut pas 10 000 000 euros!‘’. Je ne suis pas d’accord avec vous.
    Car, sans le savoir, vous avez vendu des livres d’occasion, donc vous avez trompé vos clients! Certes, je prenais toutes les précautions utiles comme s’il s’agissait de livres précieux. Lire avec des gants blancs sur un coussin immaculé, par exemple. Je n’ai jamais mangé, fumé ou bu en lisant. Non, cette lecture était un vrai rituel!
    Ces livres m’ont beaucoup appris, certes. Mais il faut dire aussi que l’exercice bihebdomadaire de substitution de livres dans votre commerce, l’habileté dont il a fallu faire preuve, le développement du contrôle de soi et la découverte de l’adrénaline ont été aussi importants dans mon apprentissage que la lecture.
    Maintenant, je suis multimillionnaire, j’ai un bureau immense, décoré par Martha Stewart avec une vue hors de prix en haut d’une tour. Pas pour longtemps. Cette tour, Madame, c’est ma tour d’ivoire. J’ai réussi, mais à quel prix?
    Même Bill Gates s’est marié à quarante ans, j’ai dépassé cet âge et je n’ai toujours pas de relation sérieuse.
    Depuis longtemps, je ne suis plus moi-même. J’ai eu la chance d’avoir récemment un grave accident.
    Je ne pouvais plus déglutir normalement, j’ai perdu le fonctionnement de mes membres. Il a fallu tout réapprendre et ce fût très dur. Tout ce que ça m’a demandé pour trouver au plus profond de moi-même le courage, la motivation pour reprendre une vie normale!
    Après le choc, une tempête s’ensuivit dans ma tête. Subitement, moi qui n’avais plus le temps de rien, j’avais un temps incroyable pour penser en regardant le plafond de ma chambre d’hôpital ou le parc de mon balcon.
    J’avais tellement de choses à me prouver. Tellement de défis à relever. Mais je ne m’aime toujours pas. Comment quelqu’un peut-il m’aimer vraiment?
    Est-ce que je me suis vraiment préoccupé de toutes les ressources personnelles, naturelles, humaines que j’ai consommées pour produire cette fortune? Non en réalité. J’étais trop occupé à me prouver que j’étais en train de réussir ma vie.
    Mais il n’est pas trop tard.
    J’ai appris que votre librairie a du mal à survivre. Alors, avec ce chèque, faites ce que vous voulez : sauvez votre librairie, sauvez-vous en achetant une île ou créez une fondation. J’y ai pensé, mais c’est encore de la gestion…
    Je pars à la recherche de moi même avec un mode de vie beaucoup plus simple. Ne me cherchez pas, je suis déjà parti et surtout sans laisser d’adresse.
    Jonathan

  3. Clémence dit :

    Je vous souhaite la bienvenue, Isabelle!

    J’espère que vous trouverez votre bonheur parmi, dans un partage plein de joies et de surprises!

    …je vous remercie pour votre compliment qui me va droit au cœur.

  4. Isabelle D dit :

    Me remettant depuis peu à l’écriture, je viens de découvrir ce blog. C’est très agréable de lire tous ces textes et de voir toutes les manières différentes de traiter l’exercice. Félicitations spéciales à Clémence dont j’ai beaucoup apprécié les trois versions. Quelle imagination!

  5. francoise dit :

    Monsieur
     libraire à Paris, rue des petits pas

    Veuillez trouver ci-joint un chèque
de dédommagement de 15 € 
pour le livre que je vous ai volé «rue des Voleurs de Mathias Enard »
quand j’étais un très jeune étudiant.
C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.
    C’est le titre qui m’a fait faire ce geste que la morale réprouve. Il faut dire aussi que vous étiez en grande conversation avec un Monsieur qui ressemblait étrangement à Marcel Proust ; c’est peut-être celle-ci qui vous avait poussés à parler ensemble du livre « à la recherche du temps perdu ». Moi je n’avais pas perdu mon temps : hop !j’avais fourré ce livre dans mon veston, étais sorti l’air dégagé et m’étais engagé quai des Brumes pour rejoindre mon domicile.
    Comme le héros du livre, je suis un grand lecteur de romans policiers ; par contre, je n’avais jamais été attiré par ma cousine et je n’ai donc jamais été mis à la porte par mes parents. Je n’ai pas non plus entrepris de grand voyage m’étant contenté de lire « voyage au bout de la nuit » de Céline.
    Qu’est-ce donc que ce livre m’a tant apporté.Au fond je ne sais plus trop. Accompagnant souvent en imagination­ les héros dans leur périple, je partage leur joie, leur peine, leurs émotions. Sans doute ont-elles été plus fortes que d’habitude.
    Monsieur pardonnez mon culot. Un jour sans doute viendrai-je acheter quelques livres chez vous.
    Entre-temps, salutations distinguées.
    Alain Rousseau
    ——–

  6. Clémence dit :

    Version ter : Sombre polar.
    Avertissement : Du fond du trou, je crie…

    J’avais besoin de soulager mes chevilles et mes poignets. Je déposai délicatement les chaînes sur la marche de béton. Je réussis à saisir une lime. Un long travail commençait.

    Aux stridulements des grincements vint se superposer une voix. Une voix qui n’avait de cesse de me tarauder les neurones et les tripes.

    J’avais dix-neuf ans et je crevais la dalle. Mon père ne me donnait pas un kopek pour financer mes études.
    – Tu apprendras la vie, tonnait-il !

    Et la vie, je l’ai apprise sur une bien mauvaise partition.

    Ouverture.
    Mes mains, tels des aimants, captaient romans policiers et thrillers par dizaines. Je décortiquais avec délices les ficelles macabres et machiavéliques.

    Acte I.
    J’empruntai un roman policier, un original d’une valeur inestimable qui atterrit, comme par hasard, dans un lieu réputé pour recel et blanchiment.
    Malheur à moi, le libraire était physionomiste et bon dessinateur. Je fus découvert. Il ne porta pas plainte. Il avait peur de représailles. Il connaissait mon père et ses colères dévastatrices. Entre parenthèses, c’est ainsi qu’il – le libraire- devint l’amant de ma mère après l’avoir par trop consolée.

    Acte II.
    Je passai à la vitesse supérieure. Je plongeai tête baissée dans les méandres glauques car je maîtrisais avec brio l’art et la manière de voler en toute heure, en tout lieu, en toute circonstance.

    Acte III.
    Voler ne me suffisait plus. Je puisai sans vergogne dans les romans les plus cruels, réalité et fiction mêlées. Je devins le criminel le plus recherché. Tueur en série, disait-on de moi.

    J’appris à préparer avec méticulosité mes méfaits,
    J’appris à monter savamment des stratégies,
    J’appris à déjouer habilement les traquenards.
    J’appris à prévoir subtilement les plans B et portes de sortie.
    J’appris l’art de la dissimulation, de la fugue et de la fuite.
    J’appris… ah, non, je ne vais tout de même pas vous confier mes secrets au risque de me faire usurper mon identité macabre par un vulgaire copycat !

    Final :
    Tout à ma jouissance sordide et morbide, j’eus tout de même un brin de lucidité. J’interceptai un phylactère qui passait dans un trait de lune. J’y lus un message rouge-sang :  « Voleur ».

    Je cachai la lime. J’appelai le maton et lui signalai mon intention de rédiger du courrier. Il me conduisit dans un étroit bureau . Sur la table, du papier et un crayon sévèrement fixé à la tablette par une chaînette.

    Je rédigeai la première lettre :

    Monsieur et Madame Pol Arachaine
    Le Coffre
    Quai des Libraires
    Paris

    Madame, Monsieur,

    Du fond de mon trou où je passerai le reste de mes jours, je vous écris pour vous dire « J’accuse ».
    J’accuse votre lâcheté à ne pas m’avoir dénoncé pour mon premier vol commis dans votre échoppe.
    J’accuse votre lâcheté de ne pas avoir osé affronter la colère de mon père
    J’accuse votre lâcheté à ne pas avoir tenté de me remettre sur le droit chemin.
    Aujourd’hui, je suis au fond d’un trou noir, tout comme mon âme. Je ne veux même pas vous remettre un dédommagement, ni en chèque, ni en espèce.
    Mais voilà qu’en vous écrivant, un rayon de soleil filtre timidement entre les barreaux et une idée me vient. Celle d’écrire mes mémoires afin que nul ne tombe plus dans l’enfer de la violence.
    J’espère sincèrement que ce livre sera volé des milliers de fois…

    Je vous saurez gré de me tenir informé du suivi via le lien : http://www.entre2lettres.com/exercice-inedit-decriture-creative-livre-vole/

    C. M.

    Je rédigeai la seconde lettre à la société des auteurs ès polars et thrillers.

    Mesdames, Messieurs,

    Je vous accuse d’inciter, par vos écrits hyperréalistes, à la violence et au crime en faisant croire à l’impunité.
    Personnellement, je vous remercie pour l’affreux tournant que vous avez donné à ma vie et je me permets de ne pas vous adresser de chèque de dédommagement pour les nombreux livres que j’ai pillé.

    Sachez que désormais, face à votre société ténébreuse, un homme lèvera son épée et son stylo pour ramener les humains à plus d’humanité.

    C.M.

    Depuis mon trou, j’écris….
    Depuis mon trou, je crie à chaque fois qu’un de mes livres est volé…

    ******************************************************

    © Clémence

  7. Isabelle D dit :

    Madame, Monsieur, libraire à Lille. Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 15€ pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiante.
    C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.
    Je suis tombée amoureuse de lui dès que je l’ai lu. D’habitude, j’étais plutôt empotée et je finissais toujours par mettre les pieds dans le plat. À cette époque, je terminais mes études, et il faut avouer que j’avais un peu de mal à joindre les deux bouts. Une fois le loyer payé, j’avais bien du mal à repartir ce qu’il me restait pour le mois. Alors quand je vous ai vu partir dans l’arrière boutique, j’ai saisi l’occasion. J’ai furtivement caché le précieux livre sous mon manteau, et je suis sortie. Restée dehors, devant la vitrine, je guettais votre retour, inquiète. De retour au milieu des rayonnages, vous avez continué consciencieusement votre travail. Moi, j’hésitais à vous rendre l’objet du délit, mais je suis finalement rentrée chez moi, honteuse. Je n’avais jamais rien volé. Ce n’est pas comme cela que mes parents m’ont éduqué. Mais la tentation fut trop forte ce jour-là, et le besoin aussi. Cela ne s’est jamais reproduit depuis.
    Je suis rentrée chez moi et j’ai commencé à le feuilleter. Je repensais à lui. Nous nous étions connu au lycée, il était ce garçon que toutes les filles regardent. Il avait beaucoup d’amis. Nous nous parlions parfois mais je l’observais surtout de loin, entouré de ses groupies. Je ne l’aimais pas. Non, mais je l’admirais. Je l’admirais pour son regard bleu, dans lequel j’aurai aimé plonger comme on plonge dans l’océan. Je l’admirais pour sa façon de jouer du violoncelle, lors de la dernière fête de la musique. Je m’étais mise toute au fond de la salle. Il ne me voyait pas mais moi, j’avais passé un moment merveilleux à l’écouter m’emporter dans les contrées lointaines des différents compositeurs qu’il sublimait. Je l’admirais pour ses convictions qui ne l’ont jamais quitté depuis. Nous nous étions revus par hasard lors d’une soirée chez des amis communs. Nous avions parlé comme jamais et je découvrais quelqu’un que je connaissais pas. Il voulait être médecin. Voila une idée généreuse. Il pensait aux autres, au moins autant qu’à lui-meme. Je n’aurait jamais cru une telle chose possible. Car oui, je le voyais sur de lui et incapable d’aimer sincèrement. Mais il avait l’air de pouvoir être un ami fidèle et j’en avais bien besoin en ce moment.
    Alors lorsque nous étions sur le point de nous séparer, je lui ai proposé de se revoir, de venir à la résidence manger un soir par exemple. Quelle idée j’avais eu ! J’étais la pire cuisinière du monde, ce dîner s’annonçait catastrophique! C’est là que mon amie me l’a conseillé.
    J’ai choisi la recette qui me semblait la plus facile à réaliser. J’ai commencé, mais rien ne s’est passé comme prévu. Il est arrivé en avance. Il avait apporté des bonbons. J’ai souri. J’étais debout dans la cuisine, mon tablier recouvert de sauce. Je n’avais pas eu le temps de me changer. Il m’a dit que ce n’était pas grave. On venait de deux mondes différents. Mais ce soir là, dans cette cuisine, nous avons décidé de le refaire à notre façon.
    Et nous ne nous sommes plus jamais séparés. Aujourd’hui je suis à l’aube de mes soixante printemps, j’ai trois petits enfants aussi espiègles qu’adorables. La plus grande m’aide souvent à confectionner des gâteaux que nous piochons dans ce beau livre. Et sa mère à voulu le récupérer un jour. Je n’ai jamais pu me résoudre à le jeter ou à le céder à qui ce soit. Trop de souvenirs y sont attachés. Peut-être plus tard… Mais pour le moment, j’aime à feuilleter ses pages, usées, parfois déchirées ou collantes. Je souris à nouveau en me remémorant tous ces moments. Je ne vous ai jamais oublié. Je me suis toujours demandé su vous l’aviez fait exprès. Que vous aviez vu, mais que vous n’aviez rien dit. Et c’est en passant devant votre vitrine il y a peu en me rendant au parc Mistral avec Cécile que j’ai décidé de vous écrire cette missive.
    Je vous présente encore toutes mes excuses mais je ne regrette rien. Merci pour toutes ces années de bonheur.
    Cordialement

  8. PEGGY MALLERET dit :

    Madame, Monsieur, libraires à Paris. Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 22 € pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiant. C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté. Comme vous l’aurez compris, 22 € est le prix qui était indiqué au dos du livre.

    Je me préparais à une carrière de pianiste-concertiste lorsque, vous vous en souvenez, la musique et la danse ont soudain été interdit. Je dus changer de voie et choisis le droit. Mon père étant avocat, je ne cherchais pas plus loin et m’engageai pour des années d’ennui.

    Par chance, nous sommes passés au travers des mailles d’un filet qui ne cessait de se resserrer, et notre piano ne fut pas détruit. Mon père le ferma à clé de peur que je ne puisse résister à ma passion et que par le bruit nous fussions dénoncés.

    Pourtant je vous dois tout, ce livre a été la lumière de ma vie, et m’a permis de ne pas sombrer dans la dépression. Chaque cellule de mon corps étant imprégné de musique.
    Il ne devait rester qu’une seule copie puisqu’il avait été interdit et que l’ordre formel de brûler toutes les partitions de quelque sorte de musique que ce soit, avait été placardé en énormes lettres rouges dans tout le pays sous peine de mort. Des autodafés avaient surgis un peu partout.

    Votre librairie étant à deux pas de chez moi, je passais du temps chez vous à fouiner puisque je suis aussi un passionné de livres anciens. C’est par le plus grand des hasards que je l’ai trouvé derrière un vieux code civil qui m’avait attiré en tant que pièce de collection.
    J’imagine que vous aviez dû le cacher puis l’oublier. C’était un recueil des partitions de Debussy. Je venais de découvrir un trésor !

    Je vous payai le code civil en cachant sous mon manteau, tant bien que mal, ce qui allait changer ma vie.

    Connaissant parfaitement le clavier je me remis à travailler, comme un fou, en jouant sur le cylindre de mon piano lorsque j’étais seul.

    Un jour, après un temps que je ne cherche pas à évaluer mais un temps qui parut une éternité, la danse et la musique renaissaient enfin. La nature était à l’unisson, puisque c’était un printemps. Les bourgeons explosaient en même temps que la joie de la liberté retrouvée.

    Mon père déverrouilla le piano, et jeta la clé. « Plus jamais je me soumettrai » me dit-il.

    J’étais inquiet de découvrir la nouvelle agilité de mes doigts sur le clavier. À ma grande surprise, c’était presque parfait.
    Il me fallu encore quelques mois de travail avant de monter sur scène. Aussi je vous joints chère madame, cher monsieur deux billets pour le concert. Je vous demande d’avoir l’extrême amabilité de me retrouver, à la fin du spectacle, dans ma loge afin de vous rendre ce qui m’a permis de ne pas sombrer, vous présenter mes excuses de vive voix et surtout vous dire mon immense reconnaissance. Grâce à vous j’ai gagné une bataille contre l’obscurantisme.

    Avec mes incommensurables remerciements.

  9. Beryl Dey Hemm dit :

    Je retourne rarement sur les lieux où j’ai vécu. Toujours peur de ne pas retrouver ce que j’ai aimé alors, que les rues aient été bouleversées, que les boutiques familières aient changé d’enseigne, que tous les visages soient ceux d’étrangers. En général j’éprouve alors une sensation de solitude extrême, terriblement déprimante. Mais cette fois-là, le hasard joue. Sur la route buissonnière des vacances qui doivent me mener à Nice, se trouve la petite ville de R… où j’ai habité pendant toute mon adolescence. Ce jour-là donc, midi approche et je roule depuis quatre bonnes heures. Il est temps de trouver un endroit où casser la croûte et moitié par fantaisie, moitié par nécessité, je choisis la bourgade de mon enfance pour m’arrêter.
    Une promenade en « centre ville » dans les rues trop connues réveille les souvenirs. La périphérie a effectivement changé mais le centre garde son tracé tortueux et les devantures sont reconnaissables. Quelques façades défraîchies et d’autres ripolinées de neuf (trop neuf), des visages trop vieux ou au contraire « pas d’ici », mais rien qui vienne heurter l’idée que j’ai gardé de ce coin de France un peu perdu. J’emprunte les rues piétonnes tout en mordant avec appétit dans mon sandwich et profite de la douceur de l’air pour flâner.
    Je vais au hasard.
    Un détour de rue, une impasse dans le quartier ancien, une petite place, et là, un visage tanné et ridé me jette un regard bleu avant de s’incliner de nouveau sur le tri des livres de son étal. Un flash. Je sais qui est cet homme, bien sûr, et mon premier réflexe est de baisser les yeux et de hâter le pas. Monsieur Vincent! Le libraire de l’ « Attrappe-mots ». J’ai seize ans. J’ai fait un pari bête avec des garçons de mon age – nous étions toute une bande – « T’es pas chiche !! » ils me disent. Et moi, bien sûr ! On me parle pas comme ça ! Caché derrière l’arbre du coin – incroyable! il y est encore ! – je guette. Eux font semblant de rien, tout en m’épiant et en rigolant, assis sur la margelle de la fontaine, l’air de rien. Le libraire range son étal, consciencieusement – un peu comme aujourd’hui. Il rentre chercher d’autres livres. Je bondis, fauche le premier volume à portée de mains, et je m’enfuis. Mission accomplie, je ne perdrai pas la face, c’est tout ce qui compte. Fêté comme il convient par la meute – Aah ! Les rites de passage !. Le souvenir me fait sourire, mais amer. Pauvre Monsieur Vincent ! Il me traite de tous les noms, à juste titre. C’était hier…
    Je retourne en hâte à la voiture. Un papier, un stylo, quelques mots, il va me prendre pour un malade, peu importe. Je n’attendrai pas de voir sa réaction, bien sûr. Quoique… le prix du livre était sur la première page, marqué au crayon, je m’en souviens. C’était une série de poche,un bouquin à bas prix. 3,50 francs ! 60 cents d’euros à peu près !
    Je glisse la somme dans l’enveloppe qui accompagne mon petit mot. J’y ai inscrit :
    Monsieur, j’espère que vous voudrez bien pardonner au chenapan qui vous a emprunté voilà quinze ans un volume à 3,50 francs sur l’énergie nucléaire. Peut-être serez vous surpris d’apprendre que ce petit livre a été à l’origine de sa vocation de chimiste et qu’il est à présent maître de recherche au CNRS en la matière. C’est donc avec toutes ses excuses et toute sa reconnaissance aussi qu’il vous paie aujourd’hui sa dette.
    Je scelle l’enveloppe et longe sa devanture jusqu’à sa boite aux lettres, où je glisse ma missive après avoir vérifié que la rue est déserte, et je reprends la route, le sourire aux lèvres : Ces vacances s’annoncent pleines d’imprévus.

  10. Beryl Dey Hemm dit :

    Je retourne rarement sur les lieux où j’ai vécu. Toujours peur de ne pas retrouver ce que j’ai aimé alors, que les rues aient été bouleversées, que les boutiques familières aient changé d’enseigne, que tous les visages soient ceux d’étrangers. En général j’éprouve alors une sensation de solitude extrême, terriblement déprimante. Mais cette fois-là, le hasard joue. Sur la route buissonnière des vacances qui doivent me mener à Nice, se trouve la petite ville de R… où j’ai habité pendant toute mon adolescence. Ce jour-là donc, midi approche et je roule depuis quatre bonnes heures. Il est temps de trouver un endroit où casser la croûte et moitié par fantaisie, moitié par nécessité, je choisis la bourgade de mon enfance pour m’arrêter.
    Une promenade en « centre ville » dans les rues trop connues réveille les souvenirs. La périphérie a effectivement changé mais le centre garde son tracé tortueux et les devantures sont reconnaissables. Quelques façades défraîchies et d’autres ripolinées de neuf (trop neuf), des visages trop vieux ou au contraire « pas d’ici », mais rien qui vienne heurter l’idée que j’ai gardé de ce coin de France un peu perdu. J’emprunte les rues piétonnes tout en mordant avec appétit dans mon sandwich et profite de la douceur de l’air pour flâner.
    Je vais au hasard.
    Un détour de rue, une impasse dans le quartier ancien, une petite place, et là, un visage tanné et ridé me jette un regard bleu avant de s’incliner de nouveau sur le tri des livres de son étal. Un flash. Je sais qui est cet homme, bien sûr, et mon premier réflexe est de baisser les yeux et de hâter le pas. Monsieur Vincent! Le libraire de l’ « Attrappe-mots ». J’ai seize ans. J’ai fait un pari bête avec des garçons de mon age – nous étions toute une bande – « T’es pas chiche !! » ils me disent. Et moi, bien sûr ! On me parle pas comme ça ! Caché derrière l’arbre du coin – incroyable! il y est encore ! – je guette. Eux font semblant de rien, tout en m’épiant et en rigolant, assis sur la margelle de la fontaine, l’air de rien. Le libraire range son étal, consciencieusement – un peu comme aujourd’hui. Il rentre chercher d’autres livres. Je bondis, fauche le premier volume à portée de mains, et je m’enfuis. Mission accomplie, je ne perdrai pas la face, c’est tout ce qui compte. Fêté comme il convient par la meute – Aah ! Les rites de passage !. Le souvenir me fait sourire, mais amer. Pauvre Monsieur Vincent ! Il me traite de tous les noms, à juste titre. C’était hier…
    Je retourne en hâte à la voiture. Un papier, un stylo, quelques mots, il va me prendre pour un malade, peu importe. Je n’attendrai pas de voir sa réaction, bien sûr. Quoique… le prix du livre était sur la première page, marqué au crayon, je m’en souviens. C’était une série de poche,un bouquin à bas prix. 3,50 francs ! 60 cents d’euros à peu près !
    Je glisse la somme dans l’enveloppe qui accompagne mon petit mot. J’y ai inscrit :
    Monsieur, j’espère que vous voudrez bien pardonner au chenapan qui vous a emprunté voilà quinze ans un volume à 3,50 francs sur l’énergie nucléaire. Peut-être serez vous surpris d’apprendre que ce petit livre a été à l’origine de sa vocation de chimiste et qu’il est à présent maître de recherche au CNRS en la matière. C’est donc avec toutes ses excuses et toute sa reconnaissance aussi qu’il vous paie aujourd’hui sa dette.
    Je scelle l’enveloppe et longe sa devanture jusqu’à sa boite aux lettres, où je glisse ma missive après avoir vérifié que la rue est déserte, et je reprends la route, le sourire aux lèvres : Ces vacances s’annoncent pleines d’imprévus.

  11. Clémence dit :

    Madame, Monsieur, libraire à…..
    Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de ….€ pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiant (e).
    C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    Version bis : S’il fait brouillard, coupe-le au couteau.

    J’avais besoin de dégourdir mes jambes qui fourmillaient et de détendre mes doigts ankylosés. Je refermai le PC et ouvrit la fenêtre. Mes yeux se posèrent sur un livre. Je le pris et caressai doucement la couverture. Je fis tourner les pages. Un signet tomba.

    Soudainement, j’entendis, surgissant des méandres de ma mémoire, la voix rocailleuse de ma mère : « Toujours le nez dans ses bouquins, ce gamin, au lieu de m’aider ! »
    Elle m’énervait ma mère, bien que je comprenne ses mouvements d’humeur. Mais cette fois, c’en était trop ! J’avais quinze ans et je voulais voir le monde autrement qu’au travers des planches du potager. J’empoignai mon vélo et partis en criant que je rentrerais le soir.

    Je pédalais comme un fou. La première montée, la petite chapelle, le premier village des Ardennes aux maisons de grès zébré de rouille. La grande sapinière, la plaine, la forêt de feuillus et enfin le village que j’aimais par-dessus tout : Redu, premier village du livre sur le continent après l’expérience de Hay-On-Wye.

    Je déambulais de la Forge à la Manne, du Mille Poches au Bûcher, étourdi. En cette année d’inauguration, bien que toutes les librairies offraient en vrac un éventail de voyages, d’histoire, de romans, de ciels, de mer ou de terres, j’en découvris une qui regorgeait de polars et de thrillers plus noirs les uns que les autres, aux titres plus cruels les uns que les autres.

    C’est donc chez la Fouine que je le trouvai. Rabougri, écorné, ratiboulé entre deux livres à la couverture de cuir couleur rouille. Il semblait à bout de souffle.
    Je le pris, convaincu que j’aidais le libraire à aménager ses rayonnages.

    Je fis un détour par l’atelier de reliure.
    J’étais fasciné par les gestes de l’artisan: démantibuler, écarteler, couper, trancher, rogner, écraser, presser, peaufiner…

    De retour à la maison, je planquai le livre sous mon matelas, mais je savais que chaque soir, je vivrais une passion dévorante avec mon livre, que j’irais de découvertes en maîtrises.

    Je me délectais des mots qui ne produisaient jamais de maux.
    Je me régalais des alinéas qui n’avaient d’autres buts que de découper astucieusement le récit.
    Je sirotais la ponctuation qui laissait couler sa sève dans mon imagination.
    Je jouissais du frémissement des pages qui tournaient à toute vitesse.
    J’explosais d’un bonheur indicible lorsque j’avais brisé tous les suspens !

    Au bahut, j’écoutais mon professeur de français, je le jaugeais. Son langage était maniéré, insipide, lénifiant, sans relief aucun. Son cours était débité, d’année en année, sans changer un seul iota, comme en témoignait la remarque en marge sur un ancien syllabus : « Ici, on rit ! »

    Quelques années plus tard, mes anciens potes de collège et de lycée sont devenus fonctionnaires ou entrepreneurs .
    Moi, j’écris des thrillers. Une revue littéraire m’a même attribué le titre de « Maître du thriller ». Cette gloire m’a fait frissonner de rire. Mais ça me plaît, ne fût-ce que pour la jolie maison que j’ai pu m’acheter en bord de l’Océan.
    Parfois, je me dis que je suis un guérisseur. Je sers d’exutoire, d’antidote ou de catharsis aux abysses de la part d’ombre des humains….

    Tout à ma grandiloquence, je me remémorai que j’avais tout de même volé le livre qui m’avait conduit à ma réussite littéraire.

    Je poussai une chaise devant mon secrétaire. Je pris un bristol , mon chéquier et ma plume en or.

    Monsieur et Madame Eustache SAIGNOIR
    Librairie la Fouine
    Belgique- 6914 Redu

    Madame, Monsieur,

    Je vous prie de trouver ci-joint et à votre nom, un chèque en blanc, signé et daté. Je vous prie de bien vouloir compléter le montant dû lorsque vous aurez pris connaissance de mon récit en cliquant sur le lien suivant: http://www.entre2lettres.com/exercice-inedit-decriture-creative-livre-vole/

    De plus, en guise de remerciements, je vous fais parvenir gracieusement un carton contenant une centaine d’exemplaires de mon dernier thriller.

    Littérairement vôtre,

    C.D.

    ***********************************************

    © Clémence

  12. Miclaire dit :

    Madame et Monsieur, libraires à Romans, veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 30 € pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiante. C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    Il m’a appris à être moi, je crois.
    M’a donné le goût pour les voyages, attisé ma curiosité permanente pour l’inconnu, et l’amour de l’étranger.
    « Chaque jour j’apprenais quelque chose sur la planète, sur le départ, sur le voyage. »
    Il m’a appris la naïveté de l’enfance, la fraîcheur de l’ignorance,.
    Si léger, si vrai, si incongru et inattendu !
    Il m’a toujours fascinée et me fascinera encore, je crois.
    Je le relis régulièrement, le découvrant à chaque lecture sous un jour nouveau. Est-ce lui qui change ?
    Je l’ai perdu de vu un jour, mais n’ai pu me résigner à vivre sans lui. Je l’ai donc acheté finalement pour la 1ère fois, puisque vous connaissez le début de l’histoire. Quelqu’un me l’ayant emprunté l’avait certainement, tout comme moi, trouvé à son goût…
    Il m’a accompagnée tout au long de ma vie, et continuera à cheminer tout près de moi, tout comme je chemine moi aussi chaque jour, vers l’essentiel.

    « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » dit le renard au Petit Prince.

  13. Christine Macé dit :

    Je ne me souviens ni du nom de la boutique, encore moins du titre du livre. Juste du lieu – une ville du sud où j’avais atterri au hasard de ma vie. Une période plutôt grise, en errance. Pour assurer le ravitaillement, j’avais dû me résoudre à vendre mes livres, un à un.
    Un jour où je passais devant une grande librairie du quartier (du moins l’est-elle dans mon souvenir), j’y entrai pour le plaisir de déambuler au milieu de tous ces ouvrages désormais inaccessibles, humant l’odeur du papier, caressant du bout des doigts les couvertures bariolées, puis revenant à l’extérieur où se trouvaient les bonnes affaires, les livres à un franc, les cartes postales.
    Désargentée, je sentais monter la frustration. Lui me narguait de son présentoir. Avant de tourner les talons, je m’en approchai et l’ouvris, au début, à la fin, à n’importe quelle page. Lisant à petites gorgées des mots par-ci par-là, quelques lignes, un paragraphe dont le sens m’échappait. C’était comme s’il me demandait de rester encore un peu avec lui. Ensuite, libre à moi de décamper.
    C’est alors que l’idée s’imposa : je le voulais ! Partir sans lui, c’était le trahir, renoncer, retourner à ma vie de rien. Histoire de vérifier que je n’étais pas dans le champ de vision du libraire, et surtout m’assurer que j’oserai le faire, je fis semblant de réfléchir. Puis d’un coup, je le glissai sous mon manteau et je quittai l’endroit, le cœur battant. Qu’aurais-je fait ou dit pour ma défense si le marchand m’avait surprise, attrapée, appelé la force publique, condamnée sous les regards accusateurs des passants ? Trop tard pour y penser, revenir en arrière : le geste avait précédé les pensées.
    Quelques rues plus loin, définitivement à l’abri, j’ai savouré mon piètre exploit et fait taire ma conscience. Aujourd’hui, je souris à cette petite voleuse de livre qui voulait juste se faire la belle avec la complicité de l’auteur, se gorger de mots, le suivre dans ses rêves, vivre simplement un peu moins mal.
    Or donc, madame ou monsieur le libraire, je ne vous enverrai pas ce chèque – fût-il symbolique – que mon maître me prie de vous faire parvenir à titre de dédommagement. Non seulement parce que je ne saurais à quelle adresse le poster mais surtout parce cet acte de rébellion – je n’ose dire de bravoure – a probablement servi ma cause et participé à ma survie. N’espérez donc point de repentir de ma part pour ce petit geste de résistance – je n’ose dire de bravoure – car je ne doute pas qu’il me sauvât certainement de l’amertume et de la désespérance.

    Bonne semaine, Christine

  14. AB dit :

    Monsieur LIMONE,
    Ancien libraire
    À Aubusson…..

    Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 0.50 € pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiante. C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    – Non, ce n’est pas une blague. SVP, lisez encore, je ne suis pas folle. Je vous vois, ou plutôt, je vous imagine.
    – C’est qui, cette dingue ?
    Froissant la lettre et le chèque d’une valeur nulle ou presque, vous énervant, jetant peut-être l’ensemble, puis, le récupérant avec votre air bougon comme autrefois.
    – C’est un gag ou quoi ?
    – Là, posez-vous, je vous surprends un peu plus ? Sans doute. Allez, continuez.

    – Je suis la « petite Adélaïde », comme vous m’appeliez. Adélaïde Combarmond, vous ne pouvez pas, ne pas vous rappeler de moi. Je sais, pardonnez-moi, vous avez pris de l’âge, moi aussi et je ne pense pas être impolie à le constater. C’est comme ça.

    Alors si je vous dis : la jeune fille qui mangeait toujours du chocolat et qui en avait plein les doigts quand elle entrait dans votre si jolie petite boutique. Je me les léchais croyant ainsi les avoir suffisamment nettoyés avec un «flip» provenant de mes lèvres qui vous agaçait fortement. Ça y est ! Vous y êtes ? Vous revoyez la scène ou plutôt vous la revivez ? Vous ne pouvez autrement, car cela se répétait tous les jours, presque à la même heure, lorsque je sortais de la fac et que je ne pouvais m’empêcher d’aller à la rencontre de tous vos trésors dont vous craigniez à chacune de mes caresses sur eux l’immonde trace de chocolat pour laquelle je vous rassurais en me tournant vers vous et en vous offrant des sourires angéliques qui vous faisaient fondre et rendre les armes.

    – Puis-je me permettre de continuer ? Je sais, maintenant que je vous intéresse.

    – J’ai malheureusement appris que, comme tous les autres commerces, votre charmante librairie s’est éteinte après votre départ en retraite. J’imagine votre déception à ne pas l’avoir confiée à un autre successeur. Il parait aussi selon la petite enquête que j’ai menée (ne m’en voulez pas, attendez la suite), que vous êtes toujours resté dans l’appartement du dessus, votre fief. Ne vous impatientez pas, là, je vous sens électrique, Cher Monsieur Limone, mais j’arrive enfin à l’objet de mon courrier qui je l’espère vous intéresse et est en train de vous plonger dans des souvenirs communs.

    – Je crois que vous savez déjà où je veux vous emmener. Si je vous dis « Mon herbier fantastique » ! Non ? Ça commence à vous grattouiller ou à vous chatouiller ? Pardon, pardon, mille fois pardon. Oui, la coupable, c’est «MOI».

    – Ça y est, voici le secret dévoilé de mon… comment dire ? Vol ? Emprunt ? Puisqu’aujourd’hui, c’est moi qui rends les armes et qui vous restitue ce qui vous a toujours appartenu ? Sans aucun doute, à cette minute précise une soupape vient de sauter, je le sais, je le sens. Retrouver l’objet qui appartenait à votre père qui lui-même le tenait du sien et peut-être encore plus loin. Vous le mettiez en exposition sur la plus haute de vos étagères et vous ne cessiez d’en expliquer l’existence familiale.

    – De quel droit a-t-elle pu commettre cet acte? À quel moment et comment savait-elle que je savais pour elle ? Pourquoi me le rendre juste maintenant, après tant d’années alors que, je m’apprête à m’en aller en maison de retraite ? Les questions se cognent dans votre tête ?

    – Oh, Cher Monsieur Limone, moi aussi, je me les suis posés si souvent tous ces « pourquoi » et encore aujourd’hui. Aussi, sachez que grâce à votre merveilleux ouvrage qui revient enfin vers son vrai propriétaire, il m’a été possible de trouver le soutien nécessaire, d’acquérir la source qui m’a tant aidée à me trouver et permis de soigner plus d’une personne.

    – Évidemment, je me dois de tout vous expliquer. J’ai si honte.

    – Ne ravalez pas votre colère, Monsieur Limone, au contraire, laissez-la sortir, s’extirper, me condamner peut-être.
    – J’étais émerveillée par tout ce qui composait votre boutique : les Goncourt, chaque année, les Frédérique Hébrard (il n’y a pas à rougir à être romantique), les Bernard Clavel et tous les autres. Mais, car il y a un, mais, par-dessus tout, plus qu’une glace chantilly, plus qu’une sortie avec les copains de promo ou des places de cinéma, j’étais amoureuse, j’étais enchantée, plus, j’étais envoûtée par cet ouvrage cuir, frappé en lettres d’or dont vous m’aviez vanté l’inquiétant vocabulaire, les herbes rares dont on parlait et que votre grand-père se servait pour guérir. Je le lorgnais, le reluquais, le bavais, enfin, il devait m’appartenir presque autant que ma propre vie.
    J’ai donc, un jour que vous étiez très grippé et que malgré tout, vous teniez boutique, alors qu’un coup de fil un peu long vous avait ravi à votre attention perpétuelle de boutiquier. Oh, pardon, pardon Monsieur Limone, je vous ai volé votre trésor !

    – Pourquoi, cette folie que je ne regrette pas, mais dont l’acte d’appropriation m’a hanté toute ma vie ? Et vous, pourquoi, n’avez-vous pas porté plainte ?
    Votre gentillesse, votre altruisme et votre….. J’ose me permettre votre préférence pour moi parmi toute votre clientèle, ont-ils joué un rôle positif ? Toujours est-il que j’ai déguerpi comme la voleuse que j’étais, déchirant au passage un feuillet de publicité sur lequel je m’étais appuyée pour grimper sur le bord du meuble bas afin d’accéder à l’étagère.
    Vous ne m’avez jamais revue, j’étais étudiante en deuxième année de médecine. J’avais rapidement compris que, là, n’était pas ma spécialité, mais, plutôt dans l’herboristerie et le don de guérison. Ici, prend tout le sens de mon emprunt si vous acceptez ce terme. Légitimez-vous ma demande ? Je vous en supplie, Monsieur Limone, pardonnez-moi.

    Je dois terminer cette longue lettre et je souhaiterais vous rendre en personne ce dont je vous ai spolié. J’habite à mille kilomètres de chez vous, mais je vous dois bien ce déplacement. Cependant, avant de connaître votre réponse, je tiens à vous exprimer toute ma reconnaissance de ne pas avoir jugé mon acte et de ne pas avoir ameuté le voisinage. Vous auriez pu, car ce livre avait une grande valeur à vos yeux. Je sais que je vous ai blessé, peut-être même meurtri pour toujours. Cependant, il est des choses que l’on ressent, sans savoir pourquoi. Je pense que vous vous êtes douté que votre livre était entre de bonnes mains. Sans vous, sans lui, je n’aurais pas connu toutes ces mystérieuses plantes, leurs effets, mais, surtout, je n’aurais pas eu cette niaque, cette pugnacité de réussir. Je me revois à étudier, à réciter par cœur des formules de tisanes revigorantes, des potions presque magiques et toute cette volonté à vouloir pour pouvoir.
    Comme ça ! Monsieur Limone, « Vouloir pour Pouvoir », deux mots magiques qui m’accompagnent toujours dont j’ai fait ma force et mon idéal grâce à vous. Comment alors ne pas s’interroger de ce titre mystérieux frappé en lettres d’or sur ce non moins surprenant rectangle de cuir : « Mon herbier fantastique » ? Un dernier mot encore rien que pour vous, MERCI, gravé en lettres d’or dans mon cœur.

    Votre petite Adélaïde qui viendra bientôt

  15. Clémence dit :

    Madame, Monsieur, libraire à…..
    Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de ….€ pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiant (e).
    C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    J’avais besoin de soulager mon dos et mes yeux. Je déposai délicatement l’instrument sur la table.
    Je tendis la main vers le livre. J’en caressai doucement la couverture. Je fis tourner les pages. Un signet glissa.

    J’entendis à mes côtés, la voix chaude de mon professeur de français. J’avais douze ans.
    – La semaine prochaine, nous irons en voyage scolaire à Redu, premier village du livre sur le continent.

    Je revoyais ce village ardennais, minuscule, aux toits d’ardoises, serré autour de son église, faisant un gros dos de pierres grises. Il semblait figé sous un ciel bas mais les portes étaient grand ouvertes, dégorgeant de bacs remplis de livres et de fleurs.

    Je déambulais de la Forge à la Manne, du Mille Poches au Bûcher, étourdie.. Jamais je n’avais vu autant de livres à portée de main. En cette année d’inauguration, toutes les librairies offraient en vrac un éventail de voyages, d’histoire, de romans, de ciels, de mer ou de terres.
    Je découvris la reliure et la fabrique du papier à la cuve au Colpin.

    C’est au Bûcher que je le trouvai. Rabougri, écorné, ratiboulé entre deux livres à la couverture de cuir couleur rouille. Il semblait à bout de souffle. Je le pris et le glissai entre ma peau et la manche de mon pull, lui murmurant qu’il serait au moins au chaud.

    De retour à la maison, toute fière, j’exhibai le livre à ma fratrie. Mon frère aîné me traita de voleuse et ma sœur aînée de folle. Mon frère cadet me traita d’écervelée et ma cadette d’illuminée….

    Moi, je vivais déjà une histoire d’amour unique avec mon livre.

    Je commençai par séparer tous les feuillets gorgés d’humidité en y plaçant un buvard. J’appris la patience.
    Je recollai la couverture déchirée, replaçant chacune des brisures face à face. J’appris la précision.
    Je redonnai la lumière au réverbère avec des pétales de feuilles d’or. J’appris la bienveillance.
    Je rendis au mouton sa blancheur d’origine avec une boule de mie de pain. Je fus sensibilisée à la mémoire.
    La rose retrouva son velouté. Je découvris la tendresse, l’amour et le respect.
    Le renard m’intrigua et devint mon ami. J’appris l’amitié, l’attente, l’angoisse, la peur.

    Ma fratrie me regarda autrement. Je n’étais plus la voleuse, la folle, l’écervelée et encore moins l’illuminée, mais l’égérie de leur destin.

    Mes frères et sœurs ont fait leur chemin. Ils sont devenus garagiste, horlogère, astronome et chirurgienne-plasticienne.
    Moi, je suis luthier. Je guéris l’âme des violons.

    Je regardai le signet et mes joues s’enflammèrent. J’avais douze ans et j’avais volé un livre. En retour, il m’a appris tant de valeurs !

    J’allai à mon bureau. Je pris un bristol et mon chéquier. Ma plume glissait.

    Monsieur et Madame Léon Setolan,
    Librairie le Bûcher
    Belgique- 6914 Redu

    Madame, Monsieur,

    Je vous prie de trouver ci-joint et à votre nom, un chèque en blanc, signé et daté. Je vous prie de bien vouloir compléter le montant dû lorsque vous aurez pris connaissance de mon récit en cliquant sur le lien suivant: http://www.entre2lettres.com/exercice-inedit-decriture-creative-livre-vole/

    Sachez que je resterai à jamais votre obligée,

    Clémence D.

    © Clémence

  16. Nadine de Bernardy dit :

    A Monsieur Massoud PATEL
    Libraire à Saint Denis
    Ile de la Réunion

    veuillez trouver ci-joint un chèque de 250 francs C.F.A pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiante, en 1973, à l’hôpital de Saint Paul. Ce n’est vraiment rien au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.
    Un collègue dont j’appréciais le travail me l’avait conseillé.: Manuel du parfait infirmier en psychiatrie ……
    Me voilà en route pour Saint Denis ou se trouvait la seule librairie intéressante de l’île à cette époque et,miracle,j’ai déniché le petit livre relié en vert.
    Alors que je continuais à flâner dans les rayons,un homme m’aborda avec politesse :
     » Bonjour mademoiselle,vous semblez chercher quelque chose
    – pas spécialement,j’ai trouvé mon bonheur.Vous travaillez ici?
    – non, je cherche je ne sais quoi qui pourrait me plaire.Vous êtes métropolitaine? Depuis longtemps à la Réunion?
    – Ah!je vois ,monsieur est du F.B.I! »
    Nous avons ri,entamé une conversation tellement animée que,le livre à la main,je me suis retrouvée dans la rue sans l’avoir payé.
    Trop tard,j’avais mieux à faire que retourner chez Patel.Nous avons poursuivi nos échanges à la terrasse d’un café.
    Je suis rentrée chez moi sur un petit nuage, avec une promesse de nous revoir dans la tête.Le petit livre a été posé dans la bibliothèque sans que ne l’ai ouvert.
    Nous nous étions plus,nous nous sommes revus.Nous nous mariâmes.J’ai eu mon diplôme.
    C’est en déménageant, il y a quelques années, que je l’ai retrouvé.Très émue je l’ai feuilleté.Il n’aurait présenté,en fait, aucun intérêt tant il était simpliste.
    C’est pour cela que j’ai voulu réparer mon indélicatesse.Pour l’inutilité du geste.
    Tu aurai aimé cela aussi,toi aussi, n’est-ce-pas?

  17. saheb dit :

    le lecteur est comme un voyageur ,il ne sait où il va et quand il reviendra.
    Pourtant,, après tant d’années me voila de retour:
    Madame,Monsieur,libraire à Tizi-ouzou ,
    Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 1000DA pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiante.
    C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.
    Rappelez vous, je vous ai sollicité pour vous seconder dans votre boutique juste pour être au contact des livres!
    Oh!Les livres,ma passion, mes voyages virtuels aux couleurs du monde qui m’étaient offerts sans dépenser un sou!
    Pour ne rien vous cacher ,je sortais la dernière et rentrait la première tôt le matin pour pouvoir remettre en catimini ,le livre que j’avais emprunté sans votre accord ,la veille!
    Eh,oui , Monsieur ,l’amour des livres me rendait folle, inconsciente de mon ineptie ,jalouse et possessive au point de vous en dérober UN
    Ayant très peu de moyens, adorant la lecture , je n’ai pas hésité à commettre une faute grave mais qui au fond de moi ,une petite voix me disait que c’était pour une bonne cause ,un mal pour un bien.
    L’harmonique des mots ,ce soir là, chantait dans ma chambre vétuste,les sons et les lettres s’entremêlaient dans une ambiance lascive et suave car je lisais à haute voix comme pour me bercer ; un rayon de lumière éclaira mon égo de lecteur:enfin un livre sur ma table de nuit!!!!
    Ce fut mon premier livre de chevet; je le caressais tous les soirs et humais l’odeur de son papier jauni, je le dorlotais, le dévorait comme on le ferait pour un amant à en jouir de plaisir et de pénétration intellectuelle.
    Je ne suis plus revenue dans votre librairie.
    je n’osais pas croiser votre regard.
    Depuis ;le livre ne m’a plus jamais quitté.
    Le livre portait sur la mythologie grecque; j’y ai trouvé un bonheur fou à m’y perdre dans les dédales de ses histoires.
    Aujourd’hui, il me plait d’utiliser dans mon vocabulaire les métaphores empruntées à cette mythologie.
    Ce livre fut mon « fil d’Ariane ».
    Il n’a pas seulement suscité mon imaginaire par sa succession de contes et de légendes;il m’a apporté beaucoup plus.
    Il m’a insufflé philosophiquement une pléiade de leçons de vie et de sagesse d’une profondeur abyssale.
    C’est aussi grâce à vous ,Monsieur le libraire;Monsieur Pascal

  18. smoreau dit :

    Monsieur le libraire de Miniville,

    Veuillez trouver ci-joint un chèque
    de dédommagement de 20 €
    pour le livre que je vous ai volé
    quand j’étais enfant.
    C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    J’avais 10 ans. Je savais bien lire. Mais à la maison, point de livre. Cela me manquait. J’étais plutôt bougonne, toujours de mauvaise humeur, jamais contente.
    Pour me distraire, Maman m’emmenait parfois à la bibliothèque mais j’avais très envie d’avoir un livre à moi. Un livre tout neuf sur lequel je pourrais écrire mon nom. Un livre que personne n’aurait touché.

    J’avais déjà volé un carambar et personne ne m’avait surprise. Alors, j’ai décidé de voler un de vos livres.
    J’ai d’abord fureté pour bien choisir. Je suis venue plusieurs fois repéré les lieux. Je me montrais très polie avec vous. Très souriante. Je ne touchais à rien. Les mains derrière le dos, je regardais.

    J’avais repéré un joli livre tout coloré. « OUI OUI part en vacances ». Cela m’intriguait. Je n’étais jamais partie en vacances. Et ce petit bonhomme au bonnet bleu à clochettes m’attirait. Un jour, j’entrai dans votre magasin silencieusement. Heureusement, je n’avais pas de bonnet à clochettes. Profitant de votre dos tourné, je glissai habilement le petit livre sous mon manteau et vite disparus.
    Imaginez ma joie, mon allégresse à tenir ce livre dans mes mains. A Moi, à MOI, il était à moi.
    Le soir, une fois tout le monde couché, je le sortis de sa cachette et le dévora d’un seul trait.
    Ce petit OUI OUI devint mon copain. Tout était beau dans son village. Tout le monde était gentil à Miniville.
    Mon souhait depuis toujours !
    Ce livre a changé ma vie, je me mise à rêver d’un monde meilleur, je suis devenue gaie et optimiste.
    Personne ne me reconnaissait. Je demandais à ma grand-mère de me tricoter un bonnet bleu, j’y accrochai une clochette.
    J’aidais tout le monde, je rendais service, je faisais des cadeaux. Je souriais, riais.
    J’étais devenue gentille et généreuse grâce à OUI OUI.
    Adulte, je suis devenue clown dans les hôpitaux, puis dans les maisons de retraite.
    Dans mon armoire, sous une pile de vêtements, j’ai caché mon petit livre volé. IL m’est précieux quand des événements qui dépassent l’entendement ébranle mes convictions. Alors, je vous donne cet argent mais je ne peux me résoudre malgré mes remords à vous rendre ce livre.
    Pardonnez-moi.

  19. Pipalou dit :

    Madame la libraire de la rue Mouffetard à Paris,

    Vous trouvez ci-joint un chèque de 2 euros pour le livre que je vous ai volé quand j’étais étudiante. C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    L’estomac dans les talons et les poches vides, je n’ai même pas eu un rond de remords lorsque je l’ai vu, il était là, vous non, et la décision limpide, le scrupule insignifiant.

    Rentrée dans mon 10 m2, je ne me suis pourtant pas empressée pour l’ouvrir : le sentir dans ma poche, le savoir là, sentir son poids me suffisait et m’enivrait assez pour le moment jusqu’à ce que l’excitation prenne le dessus, m’incita à enfin l’extirper tremblante, caressant doucement sa couverture, dévorant les lettres de son titre, enfin l’ouvrir.

    Ah Si vous saviez madame, le tourbillon d’ivresse que ses mots ont produit sur moi : un véritable concert symphonique que je ne suis pas prêt d’oublier.

    Il est depuis tant de dizaine d’années plus tard toujours coincé quelque part au fond d’une poche ou d’un sac, il m’accompagne à chaque moment, dans la salle d’attente du médecin ou lors de l’impatience d’un rendez-vous amoureux.

    Il est mon bréviaire, mon abreuvoir à mots, mon dictionnaire, ma piqure de rappel lorsque j’écris, mes références littéraires et ma rage de lire.

    Mais vous ais je dis qu’il s’agissait de l’Ecume des Jours de Boris Vian, que Chloé et de Colin, mes frère et sœur, viennent depuis toquer à ma porte lorsque la solitude ou l’angoisse s’y pressent.

    Que dire d’autre madame qu’un merci infini et que ces deux euros n’est que l’excuse pour dire une fois encore mon amour pour ce livre, son auteur et ses tendres protagonistes.

    Votre obligée depuis près de cinquante ans

  20. . Janine dit :

    Bravo Laurence, bel hommage aux dictionnaires, lesquels – pour moi comme pour vous – sont une mine inépuisable de découvertes.
    Vous avez exprimé tout ce que je ressens. Merci
    Janine

  21. Lettre à Monsieur Robert
    libraire à Larousse,
    qui vint à ma rescousse
    de manière involontaire

    Ce dictionnaire volé
    à l’heure de la rentrée
    m’a apporté depuis
    le meilleur des appuis

    L’ami des plaidoiries
    que le mot anoblit
    L’allié des fantaisies
    quand l’idée s’assoupit

    Le dico est l’écrin
    Le mot est le joyau
    Tout y est sans distinguo
    Le plus comme le moins

    La joie et le chagrin
    L’hier et le demain
    Le lecteur et l’écrivain
    Le proche et le lointain

    Il suffit d’y puiser
    afin d’appréhender
    le tout et son contraire
    le frère et l’adversaire

    Les mots qui dansent
    Les mots qui chantent
    Les mots qui signent
    Les mots qui sonnent

    Ils sont mon unique ciel
    et ma respiration
    Ils sont mes chants de Noël
    et mon seul horizon

    A combien le chèque
    pour mon alter-ego ?
    Reconnaissance de dettes ?
    ou paiement illico ?

    Sa valeur est immense,
    elle est la quintessence
    De ce qui a construit
    mon âme et mon esprit.

    Fixez-en donc le prix
    car pour moi, le dico
    c’est comme la vie
    ça n’a pas de prix

  22. Jean Marc Durand dit :

    Monsieur, libraire à Lille!

    Veuillez trouver ci-joint un chèque de dédommagement de 1€ pour le livre que je vous ai volé bien avant de ne jamais devenir étudiant.
    C’est vraiment peu au regard de tout ce que cet ouvrage m’a apporté.

    Ce livre existait dans ma famille mais il m’était interdit.Comme toute confiture on le plaçait sur la cime des étagères. Les parents sont bien innocents des échelles. L’ouvrage était « camouflé » au milieu d’autres livres pratiques. « Comment fabriquer ses propres étagères ». »Faire ses confitures ». »Le petit plombier ». Je l’avais feuilleté en l’absence de mes drôles de géniteurs mais toujours remis en place.L’interdit ne me donnait pas d’ailes.

    Puis un jour, suite à une longue réflexion philosophique, je l’empruntais au libraire du coin. Comme tout un chacun ayant, à l’époque, lu Sagan, mon coeur battait soi disant la chamade alors que de fait il ne se débattait que face à la crainte de se faire piquer.

    Le livre, camouflé dans l’antre de mes jouets était feuilleté, le soir, à l’heure où les parents s’autorisaient à découvrir la télévision en noir et blanc. J’avais bien d’autres priorités. Les textes étaient courts, les images trop sobres, trop pâles.
    Ca ne frisait que l’ennui. Je m’endormais rapidement sur la tranche émoussée d’un petit plaisir.

    Plus tard, lors d’une fête de village, je croisais un sculpteur extrayant du bois et de ses mains les formes de la simple beauté. Ni livre, ni diplôme,
    ni conseil…sauf à regarder…regarder….et sentir…sentir!

    J’oubliais tout du schématique écrit.Ce livre avait fait son boulot.M’inciter à aller voir ailleurs et autrement…à fabriquer ma propre histoire, à polir de mes petites mains mon rapport à l’amour.

    PS: Suite à une réflexion philosophique toute autre, car émanant d’un adulte équilibré et conscient de ses responsabilités (3 enfants à ce jour!)j’ai décidé de ne pas envoyer ce chèque nominatif à un libraire au bord de la retraite, de la faillite, peut être, de l’écœurement sans doute et risquant de se défouler sur mon nouveau statut de ministre de la culture.

    extrait de « Mémoires enrhumées »:Le libraire aigri existe, je l’ai rencontré.

    Jean Marc Durand

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